samedi 16 juillet 2016

Séjour au Névada de Bernardo Atxaga*****


Editions Christian Bourgeois, mai 2016
464 pages
Traduit de l'espagnol par André Gabastou
Parution originale Dias de Nevada, 2013

4ème de couverture


«Inutile de multiplier les éloges quant à la prodigieuse imagination de l'auteur, elle est de notoriété publique. Mais il y a dans ce livre autre chose qui a éveillé mon intérêt, peut-être parce que ce n'est pas si habituel dans la littérature d'Atxaga : son art de raconter le quotidien. [...] La narration qu'il propose conserve sa puissance de bout en bout, grâce à son habileté à exposer les faits, à décrire les personnages et les lieux.» Javier Rojo, El Correo

«Séjour au Nevada peut être considéré comme un condensé de l'univers romanesque de Bernardo Atxaga [...] Il s'agit certainement de son livre le plus personnel. C'est également l'un des plus riches, un voyage empreint d'une certaine douleur, au sein duquel l'humour occupe aussi une belle place.» 
Jon Kortazar, Babelia


«Bernardo Atxaga parvient à divertir, émouvoir et donner à l'autobiographie les atours enchanteurs de la fiction.»  J. A. Masoliver Ródenas, La Vanguardia


A propos de Bernardo Atxaga

Né en 1951 près de San Sebastian, Bernardo Atxaga, José Irazu Garmendia de son vrai nom, a effectué des études de Sciences économiques, de philosophie et de littérature à l'Université de Barcelone. Écrivant tantôt en basque, tantôt en espagnol, il est l'auteur de poèmes, de contes, de romans ainsi que d'une vingtaine d'ouvrages pour enfants. Très remarqué, autant par le public que par la presse, dès son premier ouvrage, il a reçu le Prix National de Littérature en 1989 pour Obabakoak. Depuis, il a également reçu le Prix de la Critique et figuré sur les sélections de nombreux prix pour ses autres ouvrages.

Mon avis  ★★★★★


C'est un très beau roman que l'on pourrait décrire comme le journal intime, le récit de voyage  d'un écrivain basque, tout juste émigré à Reno, dans le Nevada avec sa femme, Angela et ses deux filles, Izascun et Sara. Il nous raconte leur installation dans le Grand Ouest américain, nous fait part de ses émotions, de ses sentiments présents, de ses rencontres souvent atypiques. nous conte divers événements (la campagne de Barack Obama, la disparition du milliardaire Steve Fosset, d'un tueur  et violeur en série qui sévit à Reno, l'évocation de la cellule du prisonnier AZ87 Al Capone ...), évoquent des écrivains (Raymond Chandler, Kerouac, Allan Ginsberg, Juan Benet, Eric Havelock...), des livres, des albums photos (celui de The Way We Were est marquant, troublant - extrait p.218 ci-dessous) et puis tant d'histoires qui surgissent et disparaissent tout au long du roman, comme des tourbillons de souvenirs.

Parce qu'il est aussi question des rêves et des souvenirs du narrateur dans ce livre, apportant, parfois une touche sombre à ce roman, celle du deuil (de son père, de sa mère ....), celle de la nostalgie, des difficultés liées au déracinement. Il écrit sa vie, à un moment de sa vie, où il est temps de tourner la page. "Ce qui s'était passé étant désormais derrière nous, notre façon de vivre a changé. Pour employer une métaphore empruntée aux livres religieux, l'herbe - la vie - a commencé à pousser et grandir dans d'autres fissures du mur."

Cette lecture fait voyager, elle nous transporte du désert dans le Nevada, à Reno, Las Vegas, Lac Tahoe, Truckee, Black Rock, mais aussi en Italie (Gênes, Florence, Rome, Pise ...), en Espagne et au pays basque.

La playlist déroulée tout au long du roman est un pur bonheur : The Mamas and The Papas, Animals, Sinatra ... 

Une très belle écriture qui invite sans aucun doute au voyage; par de jolies touches colorées, l'auteur décrit merveilleusement bien le décor grandiose, majestueux qui l'entoure.
"Le ciel était bleu, le désert ocre, rougeâtre du côté des collines arrondies, le vent passait sur les arbustes comme une brosse en les frottant et en les nettoyant."
"Beau comme le premier jour du monde, de la création. Telle est l'idée qui vient à l'esprit quand [...] s'ouvre le panorama et apparaît le lac, Lake Tahoe. Les sapins cachent les chemins proches de ses berges : les montagnes recouvertes de neige succèdent l'eau bleue. On dirait, sans qu'il le soit vraiment, un paysage de carte postale : l'espace immense et les appareils photo ressemblent à des jouets. Durant un instant, on a l'impression que c'est précisément l'immensité qui va s'imposer à l'esprit mais non, c'est la première idée qui triomphe, celle qui nous fait soupirer et dire beau comme le premier jour. Tout semble innocent, primordial, comme si en traversant la sierra, on traversait aussi la frontière du temps en remontant en arrière, vers le paradis."

J'y étais, sincèrement, j'y étais ! 

J'ai adoré ce voyage; il faut le savourer lentement, par petites touches, au risque peut-être de s'ennuyer (ce qui ne fut pas mon cas) et de se perdre dans le désert, ce qui serait une expérience bien cruelle !!

Un très grand roman autobiographique extrêmement dense et riche, aux mille histoires, récits, chansons, souvenirs, que j'ai lu avec un immense plaisir.


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Extraits

"Le silence règne toujours à Reno, même le jour. Les casinos sont étanches, leur intérieur recouvert de moquette, aucun son ne sort des pièces où s'alignent les machines à sous et les tables de jeu. On ne remarque pas non plus la circulation dans la rue la plus fréquentée, Virginia Street, ni celle des autoroutes qui traversent la ville, la 80 et la 395, comme si elles étaient, elles aussi, moquettées ou si les voitures et les camions passaient en catimini.
Quand tombe la nuit, le silence, ou ce qui est subjectivement ressenti comme tel, devient encore plus profond. Le tintement d'une clochette pourrait éveiller l'attention des vigiles urbains. Si un pétard explosait dans une maison, ils se dirigeraient à toute vitesse vers elle, gyrophare allumé.
Le silence est la première chose que nous ayons perçue le jour de notre arrivée à Reno, le 18 août 2007, après que le taxi eut quitté l'aéroport pour nous laisser seuls devant ce qui serait notre maison, 145, Collège Drive. Il n'y avait personne dans la rue. Les conteneurs à ordures semblaient en pierre."  
p.9
"Le problème fondamental était maintenant celui que la réaction des petites avait mis en évidence : quel lien doit-il y avoir entre justice et pitié ? Jusqu'où peut aller la société quand elle doit se défendre ? Que doit faire la cité avec King Kong ? p.22
"Rares sont ceux qui ont compris le désert aussi bien que Daniel Sada, ai-je dit à Angela comme si j'étais en train d'y réfléchir. Je me souviens de lui avoir entendu dire que tout paysage, comparé au désert, ressemble à un décor. C'est tout à fait juste." p.75
"Il leur fallait notre autorisation pour procéder à l'opération. L'un des médecins s'est adressé jovialement à mon père [...] :- Et toi, qu'en dis-tu, Jacintho?- Moi ? Eh bien, je dis qu'un rassemblement de bergers signifie qu'une brebis est morte." p.87
"L'odeur de la poudre, c'est celle de la guerre. En Irak, en cet instant précis, c'est sûrement l'odeur dominante. Cela dit, à bien y réfléchir, les substances mortifères utilisées aujourd'hui sont très certainement inodores. On a beaucoup progressé. On tue mieux." p.182
"Aujourd'hui, nous sommes allés chez Borders. J'ai feuilleté un album de photos intitulé The Way We Were édité par l'université de Toronto. Le livre essaie de comparer le sort des soldats canadiens lors de la Seconde Guerre mondiale, concrètement pendant le débarquement en Normandie, et celui des personnes d'aujourd'hui ou d'il y a quelques années. On y voit par exemple, une photo en noir et blanc de la plage de Dieppe, prise en 1944 : des dizaines de soldats morts, étendus sur le sable dans des positions qui n'auraient jamais pu être celles d'un être vivant. Les tanks brûlent. Les bateaux du débarquement sont à moitié enfouis au bord de l'eau. Puis, à la page suivante, une photo de la même plage de Dieppe, mais prise dans les années 1980 : une famille prend le soleil, un couple lit des magazines sous un parasol, des enfants tournent autour d'un château de sable. [...] Après avoir feuilleté le livre, j'ai pensé : " Ce que nous appelons destin est un problème de calendrier. Tout dépend de la nature de la grosse ligne qui croise la fine qui est à nous." Il est, bien sûr, facile d'accepter cette vérité à Reno. Ce le serait moins si j'étais en Irak ou en Afghanistan." p. 218
"J'étais une toute petite fille quand les premiers Blancs apparurent dans notre pays. Ils arrivèrent comme des lions, oui des lions rugissants, et ils continuèrent ainsi jusqu'à présent, et moi, je n'oublierai jamais leur arrivée. Mon peuple était dispersé sur tout le territoire qui porte aujourd'hui le nom de Nevada. Mon grand-père, chef de la nation païute tout entière, était dans un campement près du lac Humboldt avec une petite partie de sa tribu quand une bande armée venant de Californie et se dirigeant vers l'est fut aperçue. [...]- Je ne veux pas entendre cette histoire, a dit Sara.- Pourquoi ? lui ai-je demandé.
- Parce qu'elle est sûrement très triste, a-t-elle répondu. "
p.247
" - Il m’est arrivé la même chose dans un musée de Florence alors que je contemplais le David de Michel-Ange. [...]Le commentaire, référence à l’Europe et à une œuvre classique, tombait pile. Il ne pouvait en être autrement. Des deux candidats  [Barack et Hillary] en lice, Barack Obama était l’option romantique, elle, la classique, ou, si l’on veut, la préromantique, à la manière de Michel-Ange." p.254
"Il n'y a pas de magie dans la réalité". p.284
"Ne t'irrite pas contre les méchants, n'envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l'herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert. Confie-toi à l’Éternel, et fais le bien ; aie le pays pour demeure et la fidélité pour pâture." p.288 (début du psaume 37)
"Je suis un Soldat américain. Je suis un guerrier, un membre de l'équipe. Je sers le peuple des Etats-Unis, je vis selon les valeurs militaires. Pour moi, la mission sera toujours primordiale. Je n'accepterai jamais la défaite. Je ne céderai jamais. Je n'abandonnerai jamais un compagnon tombé à terre. Je suis discipliné, fort mentalement et physiquement, entraîné et compétent dans mes tâches et mes exercices guerriers. Mes armes, mon équipement et moi-même sommes toujours prêts. Je suis un expert et un professionnel. Je suis prêt à me déplacer, affronter, anéantir les ennemis des Etats-Unis d'Amérique dans le combat commun. Je suis le gardien de la liberté, du style de vie américaine. Je suis un Soldat américain." p.336 (The Soldiers's Creed) => texte imprimé sur une carte souvenir officielle distribuée lors de l'enterrement d'un soldat mort en Irak.
"La vie, c'est la vie, pas ses résultats. Ni la grande maison en haut de la montagne ni les couronnes et les médailles d'or ou d'imitation qui occupent les rayonnages. La vie n'est pas que cela. La vie, c'est la vie et ce qu'il y a de plus grand. Celui qui la perd, perd tout." p.338

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