mercredi 1 juin 2016

La place d'Annie Ernaux****

Edition : Gallimard - Date de parution : avril 1986
Prix Renaudot - Général - 1984
160 pages

Les Thèmes : mémoire, classes sociales, remords, relation père-fille

Résumé


« Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide.
Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Puisque la maîtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures" n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : "Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !" Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancoeur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent. »

Mon avis   ★★★★☆


Elle raconte la vie de son père et la distance qui s'est installée entre lui et sa fille. 
L'écriture est simple, neutre, ne transparaît aucune émotion de la part de l'auteur, un regard distant, factuel, dépréciatif, dépouillé sur ce qu'a été la vie de son père et sa relation avec lui.
Et pourtant l'émotion est bien présente, provoquée très certainement par le style sobre du récit. Annie Ernaux intervient pas petites touches tout au long du récit, comme pour justifier cet écrit et l'on comprend alors les remords qui la troublent, ceux de ne pas avoir davantage discuter avec ce père aimant, de ne pas avoir pris le temps de le comprendre, de ne pas avoir su casser la glace, de ne pas avoir fait face à la honte qu'elle ressentait, adolescente, d'avoir des parents simples. Chacun est resté à sa place, la communication devenue impossible.On ressent tout le respect qu'elle a aujourd'hui pour son père, et en quelque sorte de la fierté.
Très bel hommage à son père.

Citations & Extraits


"Ceux qui admiraient nos vieilles choses, la pompe à eau dans la cour, le colombage normand, voulaient sûrement nous empêcher de posséder ce qu'ils possédaient déjà, eux, de moderne, l'eau sur l'évier et un pavillon blanc."
"Sacralisation obligée des choses. Et sous toutes les paroles, des uns et des autres, les miennes, soupçonner des envies et des comparaisons. Quand je disais, "il y a une fille qui a visité les châteaux de la Loire", aussitôt fâchés, "Tu as bien le temps d'y aller. Sois heureuse avec ce que tu as". Un manque continuel, sans fond." 
"Mais il détestait aussi les grandes phrases et les expressions nouvelles qui ne "voulaient rien dire". Tout le monde à un moment disait : "Sûrement pas" à tout bout de champ, il ne comprenait pas qu'on dise deux mots se contredisant."
"Il aimait la musique de cirque, les promenades en voiture dans la campagne, c'est à dire qu'en parcourant des yeux les champs, les hêtrées, en écoutant l'orchestre de Bouglione, il paraissait heureux."
"Les livres, la musique, c'est bon pour toi. Moi je n'en ai pas besoin pour vivre."
"Le patois avait été l'unique langue de mes grands-parents.
Il se trouve des gens pour apprécier le pittoresque du patois et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l'esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n'a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément."

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