mardi 28 juin 2016

Le quatrième mur de Sorj Chalandon*****


Editions Le Livre de Poche, août 2014
336 pages
Parution originale chez Grasset, août 2013
Prix Goncourt des Lycéens 2013
Prix des libraires du Québec 2014
Prix des lecteurs Le Livre de poche 2015

Résumé


L'idée de Samuel était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m'offre brutalement la sienne. S. C.


Rarement fiction fit autant ressentir l’intensité d’une guerre civile en y accolant la thématique du théâtre comme arme rhétorique et politique. Ici battent des cœurs et tonne le monde. Hubert Artus, Lire.


Brûlant, fiévreux et désespéré, d’une violence inouïe. Thierry Gandillot, Les Echos.


Bouleversant, magistral. Transfuge.

Mon avis ★★★★★


Un coup de foudre, un livre remarquable, sublime, qui m'a bouleversée, si profondément humaniste.
L'écriture est acérée, et les descriptions de la réalité de l’horreur de la guerre, celle de l’enfer du martyr des femmes, des vieillards et des enfants de Chatila sont poignantes, on sent les dissensions entre les différents groupes qui composent le Liban de l'époque. 
L'idée de rassembler un peuple, au cœur du conflit du Liban en 1982/83, le temps d'un spectacle, la mise en scène de l'Antigone d'Anouilh semble une utopie à quelques jours des massacres innommables perpétrés dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila. Mais Georges a promis à Samuel Akounis, son ami juif grec à la santé défaillante et il va aller jusqu'au bout de son engagement. Il aura beaucoup de mal à revenir des Enfers.
Excellent roman.


Extraits & Citations


"- Ne regarde pas ! Ferme les yeux ! m'a crié Imane en français. Les autres avaient renoncé à ma langue. Ils hurlaient en arabe. J'étais allongé sur le sol, les mains sur la tête.........Beyrouth était attaqué. Je répétais cette phrase dans ma tête pour en saisir le sens. Des avions se jetaient sur la ville. Ils bombardaient la capitale du Liban. C'était incroyable, dégueulasse et immense. J'étais en guerre. Cette fois, vraiment. J'avais fermé les yeux. Je tremblais. Ni la peur, ni la surprise, ni la rage, ni la haine de rien. Juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l'acier en tous sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons de voitures folles, les hurlements de la rue, les explosions, encore, encore, encore. Mon âme était entrée en collision avec le béton déchiré. Ma peau, mes os, ma vie violemment soudés à la ville..................j'ouvrais la bouche en grand, je la claquais comme on déchire. Mon ventre était remonté, il était blotti dans ma gorge....................La guerre, c'était ça. Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce. Une joie féroce me labourait. J'ai eu honte. J'étais en enfer. J'étais bien. Terriblement bien. J'ai eu honte. Je n'échangerai jamais cet effroi pour le silence d'avant. J'étais tragique, grisé de poudre, de froid, transi de douleur...."
"J'avais hurlé qu'ailleurs, dans des berceaux, des bébés avaient eu la gorge tranchée. Que des enfants avaient été hachés, dépecés, démembrés, écrasés à coups de pierres. Et ma fille pleurait pour une putain de glace? C'était ça, son drame? Une boule au chocolat tombée d'un cornet de biscuit?"

"Vous ne savez pas. Personne ne sait ce qu'est un massacre. On ne raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins."
"Le théâtre était devenu mon lieu de résistance. Mon arme de dénonciation. À ceux qui me reprochaient de quitter le combat, je répétais la phrase de Beaumarchais : Le théâtre? "Un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe.""

"De mon père, je n'ai rien conservé parce que rien n'a été. Je ne me souviens pas de sa main, de ses doigts qui rassurent lorsque l'orage gronde. Pas même de sa colère, de sa joie, de ses cris. Ni de sa voix. Je ne me souviens pas du rire de mon père. Jusqu'à ce jour, lorsque je pense à lui, je revois le silence. Il y a des enfants aimés, détestés, des enfants battus, des enfants labourés ou couverts de tendresse. Moi, je suis resté intact."

"Un médecin m’avait expliqué que la trêve charriait l’inquiétude. Les hommes s’endormaient au son du canon. Le vacarme devenait la norme. Lorsqu’il cessait, les nuits étaient blanches."
"J'ai eu peur de mourir sans jamais pleurer."
"L’antinationalisme ? C’est le luxe de l’homme qui a une nation."

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