lundi 26 septembre 2016

L'homme qui marchait sur la lune de Howard McCord****



Editions Gallmeister, août 2008
134 pages
Traduit de l'américain par Jacques Mailhos

Quatrième de couverture


Qui est William Gasper, cet homme qui depuis cinq ans arpente inlassablement la Lune, une “montagne de nulle part” en plein cœur du Nevada ? De ce marcheur solitaire, nul ne sait rien. Est-il un ascète, un promeneur mystique, un fugitif ? Tandis qu'il poursuit son ascension, ponctuée de souvenirs réels ou imaginaires, son passé s'éclaire peu à peu : ancien tueur professionnel pour le compte de l'armée américaine, il s'est fait de nombreux ennemis. Parmi lesquels, peut-être, cet homme qui le suit sur la Lune ? Entre Gasper et son poursuivant s'engage alors un jeu du chat et de la souris.

D'une tension narrative extrême jusqu'à sa fin inattendue, L'homme qui marchait sur la Lune est un roman étonnant et inclassable qui, depuis sa parution aux États-Unis, est devenu un authentique livre culte.

Mon avis ★★★★☆


Très étrange ce court récit , à l'image de son héros William Gasper. Il m'a quelque peu déroutée,je dois dire, tant par sa briéveté, son écriture assez froide, très épurée, crue parfois, que par son genre, ou plutôt ses genres : il y a du nature writing, un soupçon de thriller, et il pourrait être aussi apparenté à un récit philosophique. Je l'ai lu d'une traite, happée par cette ambiance très mystérieuse et ce personnage atypique, solitaire, qui marche sur un massif montagneux dans le désert du Nevada, qu'il nomme lui-même la Lune.
Mon nom est Gasper, William Gasper, et je ne fais rien pour gagner ma vie; je vis, tout simplement. Ma famille n'a rien de particulier, et j'ai un passé parfaitement ordinaire.
Ordinaire, pas tant que cela, me semble-t-il. Vétéran de la guerre de Corée, William Gasper est un ancien Marines, il y était sniper.
Les Marines m'ont appris à sauter d'un avion, à étrangler un homme avec un fil de fer, et à détourner les yeux d'un spectacle.
A l'inverse de Doug Peacock (Une guerre dans la tête), le personnage de William Gasper ne cherche pas, en marchant, à évacuer de sombres images, à la recherche d'un second souffle. Non, William Gasper est un tueur de sang-froid, il aime marcher, tout simplement, une marche solitaire dans un paysage lunaire et quelque peu hostile et nous fait part de ses réflexions, sans détour, brutes de fonderie, sur ses concepts de la vie et de l'Homme, nous délivre ses pensées, ses anecdotes en nous prenant parfois à partie, et lors d'une énième marche à laquelle il s'adonne et que l'on suit dans ce récit, il se sent suivi. Chassé, il se transforme en chasseur, maître des lieux, sachant se fondre dans le décor  «…lorsque je lisais Tolkien, la seule chose que je voulais était un manteau d’elfe…presque invisible. J’ai choisi ma propre parka ni trop sombre ni trop claire pour être le moins visible possible et j’ai abandonné les choses brillantes avec ma tendre enfance.» et nous assistons alors à une traque époustouflante de professionnalisme et d'une froideur vertigineuse.
J'oubliais aussi de vous dire que dans son sommeil, William Gasper reçoit la visite d'une sorcière, et nous avoue froidement son amour pour les armes à feu.
Un personnage complètement barré, qui n'a pourtant rien de dément. Pourtant, je me le suis demandée à plusieurs reprises, est-il fou ? un illuminé ? Je pense plutôt, en refermant ce livre, à un être hors norme, qui maîtrise parfaitement la solitude et qui se crée sa propre morale...euh en réalité il est hors morale quand même, je dirai plutôt, qu'il se crée ses propres règles de vie, sans idéologie aucune.
«J’assassine pour l’Etat et cela est censé donner à mes actes une forme de légitimité, à défaut de noblesse. C’est un mensonge, évidemment ; je sais que mes mobiles ne changent rien à mes actes. Un meurtre avec préméditation est un meurtre avec préméditation, que vous le fassiez pour l'argent, la vengeance, le patriotisme ou par simple colère. La différence, si différence il y a, réside dans le fait que la société - la nôtre comme les autres - ne punit pas les crimes commis à sa requête et que vous êtes alors censés avoir la conscience tranquille. La société vous paie pour cela comme elle paie pour tous les services dont elle a besoin. Ce n'est pas l'acte, ni même l'homme, que nous jugeons lorsque nous pendons l'un comme gredin et médaillons l'autre comme héros. Nous ne jugeons que l'effet produit sur la société.»
La fin est très surprenante, elle m'a subjuguée et j'en suis restée le souffle coupé.

On aime ou on n'aime pas, pour ma part, j'ai beaucoup aimé, il m'a touchée en plein dans le mille ... pour un sniper, c'était la moindre des choses ;-)
Grâce à quelques beaux passages évoquant ces marches en Islande, il a éveillé de nouveau en moi l'envie de fouler les terres islandaises. Il va bien falloir que je finisse par envisager une année sabbatique pour réaliser tout ce que ces lectures me donnent envie de faire !!



«Il y a longtemps, il m'arrivait d'emporter des textes avec moi dans mes marches, un poète ou un autre, des fragments d'un philosophe, du blabla, des choses comme ça. Mais cela ne m'intéresse plus. La langue qui lèche la moustache après une gorgée de thé contient plus de sagesse qu'un distique d'Héraclite.
...ce dont je me souviens peut n'avoir jamais eu lieu. Mon passé disparaît, et moi avec. Un homme sans famille et sans amis, un homme solitaire, un homme qui en rencontre rarement d'autres, peut en venir à douter de sa propre existence, quoi que ce mot veuille dire. Ne sommes-nous pas largement définis par nos relations avec les autres, confirmés dans la vie par le témoignage des autres ? 
Je vous expliquerais volontiers la procédure à adopter pour éviter de vous faire frapper par la foudre lorsque vous vous trouvez sur une crête exposée, mais je ne vois pas pourquoi vous ne l'apprendriez par vous-même comme moi je l'ai apprise. Si vous vous faites pincer par le long doigt électrique de Dieu, ce ne sera pas ma faute. De toute façon, vous êtes un gros cul d'intello sans arme à feu à portée de main et bien incapable de courir plus de cinq kilomètres sans qu'on vous dispense les derniers sacrements. Vous, pet de crâne, êtes un lecteur, et la seule chose que je méprise plus qu'un lecteur est un auteur, qui ferait mieux de se présenter clairement comme un onaniste public et qu'on en finisse. Mais je raconte mon histoire, vous écoutez, nous sommes liés par un pacte, à défaut de respect.Je suis un auteur, vous êtes un lecteur, et s'il y avait un Dieu, il s'amuserait peut-être à avoir pitié de nos âmes. Ou à leur pisser dessus. En longs jets électriques.
Un pistolet est comme le chapelet à prières des Turcs, mais permet d'atteindre le paradis avec une plus grande précision. J'en suis venu à aimer le .45 de l'armée comme un ami. C'était l'arme de poing des héroïques Marines des films de guerre et des plus costauds des gangsters d'Hollywood, ou du moins de ceux qui avaient les plus grandes mains. Ce n'est pas un pistolet pour petite main; les miennes le sont relativement et j'ai dû apprendre à compenser cela par la force. Il est incroyablement précis, ses pièces s'emboîtent comme dans un rêve. Mon amour débuta lorsque j'appris à le démonter et le remonter en situation de combat. Je parvins rapidement à faire cette opération les yeux fermés en moins de soixante secondes. Les histoires d'amour commencent souvent avec ce genre de petits riens.
Les eaux réchauffent les choses. Mais cette nuit-là le froid que le vent portait était si vif que la mer n'avait aucune chance de le réchauffer, et j'eus l'impression d'être de nouveau sur les crêtes, où le froid devient un terrible ennemi qui s'acharne à extirper jusqu'à la dernière calorie de votre corps, à vous sucer la moindre once de chaleur, à vous laisser comme une bogue gelée, morte, aussi froide que la lune.
Une vue sur le lointain est la chose la plus apaisante que je connaisse.
...il ne suffit pas d'être le plus rapide. Il faut vouloir utiliser cette rapidité. La faim est une motivation, la peur aussi. Mais la motivation la plus forte, c'est l'intelligence. C'est la raison pour laquelle les hommes sont les plus grands chasseurs et les plus grands prédateurs que la Terre ait jamais connus. Tue et sois sauf, abat et respire. Si ça bouge et qu'on peut le tuer, c'est probablement mangeable. C'est un vestige de l'aube de l'humanité, avant même que l'homme soit l'homme. La vie se nourrit de la vie, et elle le fait en tuant.
Apprends à connaître précisément tes limites et à ne jamais les outrepasser. Vise la certitude. Connais tes points faibles mieux que ceux de ton ennemi - car l'une de ces choses est possibles et l'autre non.
La mémoire est aussi utile que le texte, et aussi traître, même s'il est plus difficile d'y échapper ou de la vendre. Je m'arrange avec la mienne en ayant peu d'exigences à son égard et m'abstenant de la corriger. Je prends ce qu'elle me présente. Qui pourrait dire qu'elle se trompe, de toute façon ? Mes jours se passent dans le jeu avec le présent et c'est mon vrai bonheur.
Ces pensée ne me plaisaient pas, car je connais ma propre obsession pour la liberté et ne voyais pas en vertu de quoi je pouvais envisager de la dénier à quiconque n'entraverait pas la mienne. Une certaine dose de contradiction intime n'a rien d'anormal, car nous sommes tous tiraillés entre des facettes incompatibles du bien. Ma vie intérieure est aride et parcimonieuse. Je suis, pour autant que je le sache, le dernier de ma race. Ma famille s'est éteinte et je gagnerai moi-même l'oubli le temps venu. Je n'ai de relation intime avec personne et je suis aussi seul et libre qu'il soit possible de l'être dans ce monde.
...toute fidélité peut n'être que l'envers d'un dégoût.
Le passé n'est réel que par la mémoire, et la mémoire est un petit courant électrique, plus fragile qu'une soie d'araignée.»

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