samedi 17 septembre 2016

Une guerre dans la tête de Doug Peacock*****



Editions Gallmeister,janvier 2008
Nature Writing
239 pages
Traduit de l'américain par Camille Fort-Cantoni

Quatrième de couverture


Lorsqu’il revient de la guerre du Vietnam à la fin des années soixante, Doug Peacock est un homme brisé, hanté par les horreurs vécues chez les Bérets verts. Incapable de se réadapter à une société qu’il ne comprend plus, il trouve refuge dans la nature sauvage. Des paysages désertiques de l’Ouest américain aux plus hauts sommets de l’Himalaya, Peacock entame une marche spirituelle qui lui permettra de redonner un sens à son existence. Au cours de cette quête, il rencontrera Edward Abbey, auquel il servira de modèle pour le héros de son best-seller, Le Gang de la clef à molette.

Une guerre dans la tête est le récit de cet itinéraire exceptionnel qui conduira un ancien combattant à trouver dans la nature et l’amitié de nouvelles raisons de vivre.




Mon avis ★★★★★

«Plus jamais je ne tuerai un inconnu, mais je donnerai ma vie pour préserver une terre sauvage.»
Excellente découverte, une aventure que je ne suis pas prête d'oublier.
Un regard empreint de douleur et de sincérité pour décrire ce qui hante l'âme et l'esprit d'un vétéran, un vétéran déglingué à la démence bien établie. 
«On ne quitte jamais vraiment un champ de bataille.»
Vous m'avez embarqué Mr Peacock dans vos balades, j'ai marché avec vous dans la nature sauvage , dans les grands déserts de l'Ouest américain. Des marches salutaires, des exutoires pour libérer l'esprit et tenter d'oublier ces sombres et dures images de la guerre, pour ne plus penser aux horreurs des combats. Observer la nature, l'apprécier dans toute sa splendeur, savourer la magie des lieux, toucher de ses yeux les plaisirs que la nature sauvage nous offre, se faire quelques frayeurs au contact des grizzlis, les suivre dans leur quotidien, leur déplacement, se faire tout petit pour ne pas les déranger et se repaître, en silence, à leur contact, se délecter des parfums de la nature, se retrouver, se ressourcer, s'émouvoir, retrouver un équilibre, simplement ...y retrouver de belles raisons de VIVRE, un second souffle, à la recherche d'une sagesse intérieure, nourrir son âme, être de retour dans son humanité.
«Âgé d'une cinquantaine d'années, je suis venu ici recouvrer ma santé à marché forcée. Perdre à pas cadencés la graisse qui s'est installée, m'éloigner à pied de la guerre, marcher encore et toujours [...], pénétrer dans un monde qui m'apparaît obscurément meilleur, connaître un nouveau départ. Je voulais un supplément de vie, j'attendais plus de l'existence que je m'étais choisie.»
Merci, un grand merci pour cette belle leçon de vie, et toutes les fortes émotions ressenties à la lecture de votre histoire; des larmes naquirent à la lecture de certains passages saisissants.

Une belle histoire d'amitié, orageuse souvent, un bel hommage rendu à son ami Edward Abbey, à qui l'on doit Désert solitaire (livre qui changeait des vies et qui a inspiré une grande partie du mouvement écologiste moderne, qui traite de la puissance de la nature, du rapport de l'homme à la terre, d'une certaine idée de la liberté, un appel aux armes), ou encore  «Le Gang de la Clef à Molette». Le héros de ce dernier, George Whashington Hayduke n'est autre qu'un personnage inspiré de Doug Peacock.
«Cela dit, Abbey me rendit sans doute service en créant une caricature de moi-même dont je percevais la nature obtuse quand la mienne m'échappait. Il avait dépeint l'ex-Béret vert Hayduke par touches précises, comme un homme pris dans un marécage émotionnel, et il me donna l'envie d'en sortir. La seule chose pire que de lire ses propres écrits est de devenir le personnage de fiction d'un autre.»
Un ami qui lui a légué un formidable instrument de survie : les grandes marches. 
«J'étais sorti du Vietnam dégoûté du combat, tournant à vide. Moins d'un an plus tard, je rencontrai Ed. Ce n'était sûrement pas un hasard. Même s'il me fallut des années pour le comprendre, cette sale petite guerre asiatique fut à l'origine d'une amitié de vingt ans. C'était elle qui, les brassant dans un même bouillon, faisait le lien entre la violence, Hayduke, Peacock, Abbey et le combat pour les espaces sauvages.»
L'enterrement de ce grand monsieur est un beau moment, empreint d'une vive émotion, raconté avec beaucoup de pudeur et d'humilité.
«Ed voulait nourrir les plantes.»
Doug Peacock parle aussi de ses amis, Jim Harrison et Rick Bass, et évoque de grands noms de la littérature du Sud-Ouest américain, William Eastlake, Peter Matthiessen, et du mouvement écologique : Rick Ridgeway, Yvon Chouinard.

La mort s'insinue par petites touches au travers de ce récit, la mort : partie intégrante du cycle de la vie. Vivons pleinement, pour bien mourir, pour ne pas avoir peur de partir.
«Si tu as gâché ta vie, alors évidemment tu t'agrippes comme un noyé à la semi-existence que t'offre la technologie médicale. [...] La mort devrait toujours avoir un sens. Ceux qui redoutent le plus la mort sont ceux qui aiment le moins la vie. La mort est la critique ultime de chaque homme. Il faut avoir vécu courageusement pour bien mourir.»
Et protégeons notre nature, préservons la vie sauvage ! 

Ce roman est un petit chef d'oeuvre
A savourer sans modération aucune.

«
 Un paysage désert est un antidote au désespoir.
L’espoir et la rédemption se trouvent dans la Nature.
 La beauté n'est pas dans la culture.
Je me sens exalté, heureux d'être vivant en ce lieu sauvage, entièrement voué au  présent.
Je rêve l'espoir de joie. 
Il n'y a pas de canyon plus profond que la solitude.
Les anarchistes ne font pas de bons représentants de la loi.
Il y a toujours dans une relation- ici, une amitié entre deux hommes - un moment étrange où le sentiment change soudain de dimension pour acquérir profondeur et maturité.
D’ailleurs, sans la mort, la vie perdrait la moitié de son intérêt. La joie semblerait terne, la beauté fade, le danger insipide, l’aventure vide.
La mort n’est pas l’adversaire de la vie, l’ennemie, c’est la peur d’appréhender la vérité, la crainte d’une véritable introspection.
Dans la guerre, comme dans le mythe, nul mortel ne peut regarder en face la réalité nue et en réchapper intègre.
Seule la terre dure. Les oiseaux, les bêtes et les hommes vont et viennent, ils passent comme une nuée d'orage avant le retour du soleil.
Le goût du risque est une drogue qui vous éloigne de vos semblables, même de vos proches.
Un homme dépourvu de passion serait comme un corps sans âme. Ou, plus grotesque encore, comme une âme privée de corps.
On est ici au cœur des terres sauvages et de la nature, on y est de tout son être. On n’a pas d’autre choix, en ce royaume, que de se fondre dans le flux ancestral de la vie. Ce n’est pas le genre d’endroit où l’on tient à loisir le journal de ses aventures et de son retour aux sources.
Pour moi aussi, il était important de savoir que l'on pouvait mettre fin à ses jours : j'avais écrit un livre  sur les grizzlis en partie pour expliquer pourquoi j'avais, quant à moi, renoncé à sortir discrètement par la porte de derrière. Depuis le Vietnam, je portais le suicide avec moi comme une gourde de rechange. Après la naissance de ma fille, j'avais su que je ne pourrais pas y boire. Pour y puiser du courage, je suggérais sur un ton désinvolte que l'idéal était de partir en emmenant un sale type avec soi. Si on se sait condamné, si la vie devient telle qu'on veut tout arrêter, autant commettre un acte splendide, héroïque, audacieux, comme de tuer le dictateur, le bourreau ou le nazi de son choix. Ed Abbey appelait de ses voeux le jour où "quelqu'un affligé d'une maladie terminale (la vie, par exemple) s'attachera une ceinture bardée de TNT et descendra tout au fond du barrage de Glen Canyon pour réduire en miettes cette saloperie. Ce serait une belle fin".
Qu'importe si les Indiens séri avaient depuis quitté ces lieux. C'était la terre elle-même qui comptait. Elle continuait à offrir en partage des valeurs tribales, surtout si l'on faisait l'effort d'apprendre son histoire et sa culture. Abbey avait pressenti la magie de ces lieux. J'en faisais mon miel.
Chaque adulte consacre une centaine de jours par an à brasser, boire et cuver le tesguino. Participer à ces fêtes est quelque chose de sérieux, car il faut ensuite un jour ou deux pour retrouver ses esprits. L’idée de la tesguinada est d’atteindre une “belle ivresse”. Mais si la notion d’ivresse collective est essentielle à la vie sociale des Tarahumara, ceux-ci ne connaissent guère l’alcoolisme à l’occidentale. Pratiquement jamais personne ne boit seul.
[...] concilier l'amour de la nature sauvage  et l'amour d'un foyer - un espoir qui s'appuyait sur la croyance qu'il est possible de mener une vie d'homme complète malgré le fardeau tragique de la guerre.
Ce que je pouvais lui offrir de mieux état simplement d'honorer sa volonté jusqu'à la mort et au-delà. Combien d'amis seraient prêts à risquer la prison et une grosse amende en enterrant illégalement un camarade après son décès ? Je souris. C'était ce qu'Abbey appréciait chez moi : l'insouciance téméraire de Hayduke.
À vingt-sept ans, j'avais ma petite idée de ce que le monde civilisé pouvait m'offrir et j'étais certain de ne jamais vouloir céder un seul jour en pleine nature contre une vie entière remplie de ces richesses. À la fin de l'année 1968, si j'étais prêt à accomplir quelque chose d'aussi extrême et dangereux que la guerre, c'était au service de la vie. Mes valeurs étaient intactes, mais la tuerie avait drainé le reste. Blessé mais engagé, j'étais un fou furieux prêt à en découdre, un fanatique sur le départ, un guerrier qui ne voyait pas l'intérêt de massacrer des étrangers. Je cherchais une cause digne de combattre.
Ed savait que la véritable sagesse vient de la terre, qu'elle monte de nos racines jusqu'à toucher l'esprit. Marche, marche encore. Les pieds feront l'instruction de l'âme.


Mille fois, je me suis vu à My Lai, en rêve ou en pensée, me demandant exactement ce j'aurais fait. Je n pouvais m'empêcher de revivre la scène en imagination. Je croyais alors, je veux encore croire aujourd'hui, que j'aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour arrêter les soldats qui tuaient des humains, souvent des enfants, comme des porcs ou des veaux - ou que j'y aurais laissé ma vie.
 »

Coin zik


Le 15ème quatuor à cordes, composé par Ludwig Van Beethoven, l'opus 132.



En images


«Le lendemain matin, nous suivîmes le canyon principal jusqu'à ce que le cours d'eau se transforme en bourbier avant d'être absorbé par les eaux montantes du Lake Powell - cette abomination humaine visible depuis l'espace - qui a noyé le plus beau de tous les Canyons : Glen Canyon. Pour Ed, qui avait eu la chance de descendre Glen Canyon en bateau, ce barrage symbolisait toute la noirceur de notre civilisation industrielle.»

  «PUIS CE FUT LE RETOUR dans les déserts du Sud-Ouest de l'Arizona, cette contrée rude et sèche que nous aimions, le bien le plus important qu'Eward Abbey et moi possédions en partage - la Cabeza Prieta. 
Nous passâmes des chenaux bordés de mesquite et de saules du désert, des bajadas où affleurait un sol de créosote, nous passâmes des chollas et des ostryers, roulant plein ouest avec Ed sur la plate-forme du camion, empaqueté dans de la glace sèche. Le soleil coulait à l'horizon. À l'ouest, les teintes du crépuscule ressortaient brutalement sur l'étendue noire et blanche des roches basaltiques, piquetées çà et là de buissons à la silhouette spectrale.»
 
                             Mouflons du désert d'Arizona                               Chollas


 
       Desert Agave                               Velvet Mesquite Tree

     Creosote bush in                          Pétroglyphes, Arizona
                               Sonoran Desert, Arizona

 
                                  Ocotillo Cactus             Organ Pipe Cactus                               


Les Hyades

Pour aller plus loin 


avec Doug Peacock, c'est ici.


2 commentaires:

  1. Bravo pour cet article et ce petit reportage photo final... Très réussi! J'ajoute le livre à ma PAL! Merci...
    Marie-Laure

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    Réponses
    1. Merci Marie-Laure ! Si vous aimez les Nature Writing vous ne serez pas déçue. Bonne lecture !

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