jeudi 20 octobre 2016

Envoyée Spéciale de Jean Echenoz *****


Les éditions de minuit, janvier 2016
313 pages


Quatrième de couverture


Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s’occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l’empêcher d’accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n’est pas toujours très bien organisé.


Mon avis ★★★★★


Une écriture qui se déguste, un style littéraire atypique, du Echenozien que j'affectionne pleinement !
Quand les mots se font plaisir, quand la littérature se fait jeu, quand l'humour est au rendez-vous, quand le décalage interpelle, quand le lecteur se sent complice de l'histoire qui se déroule sous ses yeux, quand la malice, l'ironie, l'absurde étirent les lèvres, quand les pages se tournent sans que l'on s'en rende compte, quand les digressions parfaitement maîtrisées cultivent ... c'est absolument jouissif, non ? C'est à peu près ce que j'ai ressenti à la lecture de cet opus, un vrai régal. MERCI Mr Echenoz ...!!
A l'instar de "Je m'en vais', on se retrouve plonger dans un polar, ici plutôt roman d'espionnage, une parodie de roman d'espionnage d'ailleurs. L'histoire quasi improbable, nous entraîne de Paris à la Corée du Nord en passant par la Creuse. La Corée du Nord, nous y voilà, parce-que en plus de se moquer gentiment de l'espionnage français, Echenoz nous donne à voir la cruauté, la grandiloquence, la folie voire l'absurdité de ce pays.  
On s'amuse, on rit. Jean Echenoz joue avec son lecteur, et le convie à cette fête doucement dingue en utilisant ce "on" :  
Nulle raison, direz-vous, de croiser des éléphants dans la Creuse et sur ce point nous sommes d’accord, nous ne le mentionnons que pour la raison suivante. Selon les travaux du docteur L. Elizabeth L. Rasmussen, les femelles de l’Elephas maximus usent comme toute espèce animale d’une certaine combinaison de molécules dès le moment où l’exercice du rut devient envisageable, voire souhaitable. ... Nous pensions qu’il n’était pas mauvais que ce phénomène zoologique, trop peu connu à notre avis, soit porté à la connaissance du public. Certes, le public a le droit d’objecter qu’une telle information ne semble être qu’une pure digression, sorte d’amusement didactique permettant d’achever un chapitre en douceur sans aucun lien avec notre récit. A cette réserve, bien entendu recevable, nous répondrons comme tout à l’heure : pour le moment.
 C'est léger et cocasse, déjanté parfois ... et pourtant très puissant ! À savourer sans aucun doute !
Voici maintenant plus d'un mois que Clément Pognel partageait la vie de Marie-Odile Zwang et rien ne se passait comme on s'y serait attendu. L'un ayant pu nous paraître une épave aboulique, l'autre une implacable harpie, on ne pouvait guère envisager d'autre existence commune à ces deux-là que sur un mode SM élémentaire, quotidien scandé d'insultes et d'ecchymoses, œil au beurre noir et dents brisées, Royal Canin en plat unique suivi d'une pincée de Destop dans le café. 

«Je suis plutôt content de te voir, non ? dit Pélestor en arrivant, qu'est-ce que tu en penses ? C'est bien le style de formules ambiguës, énoncées d'une voix sourde en un sourire navré, propres à Franck Pélestor qui est un garçon tassé, voûté, posant un regard sombre sur ses pieds et sur le sol qui les soutient, s'aventurant rarement plus haut que ceux de ses semblables. Ses habits sont en toutes saison boutonnés et sanglés : tricot, veston, manteau, écharpe, souliers fourrés à fermeture Éclair. Le soleil peut flamboyer, le monde peut valser en  T-shirt, Pélestor reste vêtu dans les mêmes tons gris, sa peau est un peu grise aussi comme son humeur, chaque jour. Sans doute craint-il de s'enrhumer, sans doute l'est-il puisqu'il extrait régulièrement de sa poche le même Kleenex figé, compact, plat, façon pierre ponce ou savonnette en fin de carrière, dont il parvient encore à éplucher un fragment translucide pour l'appliquer sur son nez.


C'est qu'Hubert, bien connu dans sa profession, dispose d'un volant de clientèle assez riche et varié pour se permettre un style vestimentaire soigneusement négligé. De la sorte il met à l'aise les huiles qu'il retrouvera au golf, au tennis, au squash, de la sorte il n'effarouche pas le non plus le gustave anonyme, magnétisé par la réputation d'Hubert mais rassuré de voir un éminent juriste, aussi simplement mis, s'occuper de ses humbles intérêts. Hubert s'attire ainsi le respect fasciné du gustave, lui donne conscience de l'honneur qui lui est fait jusqu'au jour où, toutes taxes comprises, la secrétaire d'Hubert fera part au gustave ébahi du montant de ses honoraires.»

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