samedi 26 novembre 2016

Romanesque **** de Tonino Benacquista

Éditions Gallimard, collection Blanche, août 2016
232 pages


Quatrième de couverture


Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se rend dans un théâtre, au risque de se faire arrêter, pour y voir jouer un classique : Les mariés malgré eux. La pièce raconte comment, au Moyen Âge, un braconnier et une glaneuse éperdument amoureux refusent de se soumettre aux lois de la communauté. 
Malgré les mille ans qui les séparent, les amants, sur scène comme dans la réalité, finissent par se confondre. Ils devront affronter tous les périls, traverser les continents et les siècles pour vivre enfin leur passion au grand jour. 
Tonino Benacquista livre ici un roman d’aventures haletant et drôle qui interroge la manière dont se transmettent les légendes : l’essence même du romanesque.

Mon avis ★★★★☆


Quelle agréable découverte ! Depuis le temps que je voulais lire Tonino Benacquista, je ne suis pas déçue.
Un conte moderne, captivant, éblouissant, une fable intemporelle réussie, un hymne à l'amour saisissant.
Que d'éloge, vous me direz...oui parce que ce livre le vaut bien ! Il célèbre l'amour, le grand amour, celui capable de résister à tous les maux, capable de traverser le temps et l'espace, capable de vaincre même en cas de situations désespérées, capable de tracer son chemin en refusant toutes règles bêtes et annihilantes ... un amour passionné exclusif qui dérange, au temps du Moyen-Âge...
«Les mains vides, voilà comment ils quitteraient le hameau, mais riche d'une certitude : ils étaient deux. Le coeur gros à l'idée de fuir, ils l'avaient presque oublié. Être deux, c'était une civilisation, une armée. En comparaison, l'attachement à une demeure ou à un pays leur semblait illusoire.»
Et encore de nos jours, ceux qui choisissent une voie marginale, une vie en dehors des chemins "normaux", une vie en adéquation avec leurs valeurs morales ... ne sont-ils pas eux-mêmes considérés comme des parias, jugés hâtivement, montrés du doigt ? Ah le jugement bien "sot" pour ne pas dire c.....et si peu productif. Ne pourrait-on pas tous vivre librement, comme nous l'entendons, à partir du moment bien entendu où l'on ne gêne personne ?

Une lecture intemporelle, vous l'aurez compris ;-)

Laissez-vous happer par cette fable d'un genre particulier et tellement bien écrite, d'une justesse implacable; sous ce fond d'aventures extraordinaires et romanesques, ce roman est aussi une "jolie" critique de notre société, notre rapport à la nature, à la religion, aux autres servie par une très belle plume. Que du positif et je ne peux que vous conseiller de vous y plonger !
«Déchaînés, furieux, les deux amants cherchaient l'obscénité dans chaque geste, sa vautraient dans les postures les plus triviales, et chacun d'eux atteignait ce point d'osmose où les parties du corps de l'autre semblent être les siennes, obéissant aux mêmes palpitations et procurant les mêmes plaisirs.Comment désigner cette fièvre-là ? s'interrogeaient le sorcier et le griot. Comment l'expertiser afin, non pas de l'éradiquer, mais de la répandre ?»
«Mon petit docteur, pensa-t-elle, si comme moi tu t'étais agenouillé devant Louis le Vertueux, devenu Louis le Fou, tu aurais vu de tes yeux ce qu'est la vraie démence, et non celle de pauvres hères contrariés par l'existence. En le soignant, quantité de vies détruites par ses châtiments royaux. En te mesurant à son cas, et non à celui d'une simple femme qui veut rentrer chez elle, tu aurais fait preuve de courage. Oh le beau sujet d'étude qui aurait enrichi ton savoir, justifié ton exercice, et ajouté un chapitre à ton grand livre des malsaines passions : la récompense d'une vie passée à étudier les dépravations de ton prochain. Devant le roi dément, tu aurais toi aussi connu la peur, l'impuissance, la vulnérabilité qu'éprouvent les aliénés de l'hôpital de Svilensk devant le petit suzerain que tu es, et sans doute serais-tu aujourd'hui un praticien plus humain.
...le fondement premier du couple n'était-il pas d'affronter à deux les vents contraires ?
Se mettre à jour de trois cents ans de civilisation leur prit moins de deux heures. Pendant leur absence on avait créé des écran capables de contenir toutes les images du monde, de donner accès à l'ensemble des connaissances humaines, de rendre la planète bleue visible du ciel, de dessiner les contours de l'infiniment petit, de permettre de s'introduire dans chaque foyer, fût-il aux antipodes. [...] Ils étaient en droit de s'attendre à de grands bouleversements philosophiques et politiques mais la formule de la cohabitation harmonieuse entre les peuples n'avait pas encore été découverte. La quasi-totalité des États avait choisi un modèle économique basé sur le profit et la consommation, et un système de gouvernement où s'affrontaient progressistes et conservateurs. Dans ce monde nouveau, on s'étripait toujours au nom des idéaux, des races, des religions et des ressources naturelles, mais cette fois avec des arsenaux capables de déclencher des cataclysmes [...] Comme par le passé, s'élevait parfois la voix de la sagesse et de la bienveillance, mais il suffisait qu'un sage soit mêlé à dix autres pour sombrer lui-même dans la cacophonie et finir par crier lui aussi au lynchage. Si de chaque individu on pouvait se faire un ami, le groupe restait infréquentable.»

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