mardi 28 février 2017

Le monde du milieu**** de Breyten Breytenbach


Actes Sud, mai 2009
216 pages
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Jean GUILOINEAU

Quatrième de couverture


Regard d’un poète engagé sur le monde et ses dérives, sur son pays l’Afrique du Sud, dans sa nouvelle actualité, sur le continent africain et son devenir, ce recueil de quinze textes est un cri, un appel à la réflexion, à la remise en question, une invitation à la rigueur et à la vigilance. Ce livre tend un miroir accusateur à ceux qui écrasent, pillent ou utilisent le continent africain dans l’indifférence ou le silence complice ; il interroge sur la place de l’artiste et sur ce qu’il advient de l’imaginaire dans ce continent si terriblement désespéré, et parfois si désespérant. Evoquant, tour à tour, son identité afrikaner ou ses souvenirs de prison, sa fervente admiration pour Mahmoud Darwich ou la mort des clandestins sur le chemin de l’exil, dénonçant la terrible responsabilité de Sharon et de Bush au Moyen-Orient, ou esquissant un rapprochement entre Nelson Mandela et Barack Obama, Breyten Breytenbach nous entraîne à travers les interstices du monde. Il nous invite à la rencontre de tous ceux qui, par leurs idées, leurs itinéraires, leurs choix, se sont arrachés à leur contexte premier pour accéder à un autre point de vue, pour créer une autre sphère de réflexion. Et c’est ainsi qu’il révèle ce “Monde du milieu” tout en nuances, différences, altérités, toujours en marge, et pourtant essentiel, où se retrouvent, en un fabuleux cortège d’intelligences, de nombreux artistes et intellectuels, de tous temps et de tous lieux.

Poète, romancier, peintre, Breyten Breytenbach est d’origine sud-africaine. Critique à l’égard de la politique en cours et se pensant aujourd’hui plus utile à l’extérieur qu’à l’intérieur de son pays, il dirige depuis quelques années, à Gorée au Sénégal, un Institut de recherche et d’accueil pour la démocratie, le développement et la culture : un lieu où l’imaginaire peut de nouveau exister et l’Afrique être de nouveau rêvée.

Mon avis ★★★★☆



À la mémoire de Mahmoud Darwich, Paris août 2008.


Un recueil d'essais qui interpelle, dénonciateur, très critique, voire virulent à l'égard des politiques en cours en Afrique et qui crée une indéniable atmosphère de réflexion. Breyten Breytenbach dénonce les avancées technologiques à outrance, l'aberration de certaines décisions européennes, «On subventionne les fermiers européens pour qu'ils produisent des récoltes, et des millions de gens meurent de faim. Nous nous enrichissons et nous nous engraissons en élevant des milliers de porcs, et nous ne pouvons plus boire l'eau des nappes phréatiques.[...] Nous stimulons nos économies par la production et la vente d'armes et des tueurs de treize ans avec des perruques et des kalachnikovs meilleur marché qu'un sac de riz n'ont d'autre moyen d'être initiés à l'humanité qu'en devenant fous.», apostrophe Madiba, convoque Obama, s'interroge sur les valeurs du monde, dénonce haut et fort l'anarchie ambiante, les problèmes liés au pouvoir, pointe du doigt le très faible budget alloué aux infrastructures en Afrique, évoque le sombre horizon de la jeunesse africaine si rien n'est fait pour éloigner les seuls intérêts personnels, prône la diversité artistique garantissant une identité partagée, rêve de justice, de liberté, de décence, de dignité, liste les dangers : l'avidité des prédateurs insatiables, le fanatisme religieux, l'appât de pouvoir et de richesse, la discrimination entêtée et institutionnalisée contre les femmes, et une pauvreté endémique, brutale et toujours plus profonde qui s'installe malgré la manne du pétrole au Niger par exemple ...
Un recueil très riche, dense, une belle écriture, profonde, courageuse. J'ai pris une claque, souvent à retardement, parce que l'écriture n'est pas toujours facile à décrypter ! La violence des propos est atténuée par des pointes d'ironie et d'humour qui font leur effet et qui sont fort appréciables.
«La liberté ne devrait pas être un privilège.
On ne devrait même pas prendre la peine de souligner des mors (des concepts ?) comme "primitives", "responsables", "générations futures", "enfance de l"humanité", etc. Mais quel paternalisme éhonté ! Qui donne aux prédateurs culturels du Nord le droit de mettre en captivité la culture des autres ?
Nos présidents essaient de laver le sang qui tache leurs tuniques et se présentent comme des seigneurs de la guerre et des effigies vivantes des idoles, comme s'ils pouvaient ainsi incarner les masques des ancêtres. Et ils font ça au nom de l'exception culturelle. (Si seulement on pouvait les exiler et les enfermer dans les vitrines de verre de cette exposition que j'ai vue à Rio de Janeiro.)
Nous faisons partie du monde. Cependant, en Afrique, nous regardons se dérouler les événements depuis les coulisses, absorbés par nos propres conflits, et nous restons à la traîne.
Un Etat devrait être le lieu d'exercice d'un pouvoir légitime et d'arbitrage pour une administration des intérêts d'une grande communauté composite vivant dans les frontières «naturelles» qui marquent une certain cohésion culturelle. Mais les Etats que nous avons en Afrique sont en grande partie des constructions coloniales fantaisistes, transmises à des élites locales loyales mais pas libres, qui devaient assurer une bonne gouvernance et la poursuite de l'exploitation rentable des «indigènes».
(Qui, à part des intellectuels dépravés et les copains politiques, a développé les notions horribles de «nettoyage ethnique», d'«extermination des cancrelats», d'«ivoirité» et d'«apartheid» - pour ne citer que quelques fruits «glorieux» de l'esprit ? )
Savez-vous ce qui constitue le cauchemar des jeunes hommes des classes moyennes d'Afrique du Sud aujourd'hui ? Être arrêtés pour excès de vitesse ou sous influence de drogue, et être mis dans la même cellule que des criminels endurcis avant d'être libérés quelques jours plus tard - le plus souvent avec le virus du sida.
C'était déchirant dans la mesure où un départ est la confirmation d'une expérience ratée et d'un rêve brisé - le «rêve» était sans aucun doute mon attente naïve qu'une nouvelle organisation mise en place par un mouvement de libération réaliserait au moins quelques-uns des objectifs pour lesquels nous avions lutté : la justice économique, une vie publique dominée par l'éthique...Et pour moi, c'était la fin de la possibilité d'appartenir à un lieu - écrire et peindre dans un studio donnant sur une rivière où le vent courbait et balançait les roseaux, où des oiseaux jaune et rouge voletaient, où des tortues géantes des montagnes venaient frotter leur carapace contre le mur blanc de la maison, et où, sur l'autre rive, des babouins, des antilopes au sabot timide et des marmottes d'Afrique descendaient depuis le versant de la montagne dans la lumière grise de l'aube.
La cour internationale de justice devrait-elle considérer Omar Hassan el-Béchir comme responsable de la tentative de génocide au Darfour ? Oui ! Robert Mugabe et des acolytes assassins couverts de sang devraient-ils être inculpés de crimes contre leur propre population ? Oui ! Bush, Cheney, Rumsfeld, Rice et Wolfowitz devraient-ils être eux aussi traduits devant un tribunal international et condamnés pour crimes de guerre ? Bien sûr ! Bush doit bénéficier d'un procès aussi juste que Saddam Hussein. (La seule différence entre les deux, c'est que le veul Américain a le courage et l'honneur d'un paon de café du Commerce.) 
Pendant combien de temps allons-nous continuer sur le fil du rasoir comme des schizophrènes entre le discours d'égalité et de justice, et la pratique d'un pouvoir arbitraire et voleur ? [...] Comment se fait-il que la vie humaine n'ait plus de valeur ? [...] Pourquoi appelons-nous "révolution démocratique nationale" le processus par lequel l'État et toutes ses institutions - et, par extension, la culture et l'économie- deviennent l'auge dans laquelle se nourrissent le parti et ses cadres ?
Nous avons cru que les Nations unies étaient un compromis international adapté pour fédérer les espoirs et régler les conflits, mais l'organisation a été émasculée par l'unique superpuissance de la planète qui considérait ses intérêts comme suprêmes, et par les petits despotes faisant étalage de leur vanité.
On subventionne les fermiers européens pour qu'ils produisent des récoltes, et des millions de gens meurent de faim. Nous nous enrichissons et nous nous engraissons en élevant des milliers de porcs, et nous ne pouvons plus boire l'eau des nappes phréatiques.[...] Nous stimulons nos économies par la production et la vente d'armes et des tueurs de treize ans avec des perruques et des kalachnikovs meilleur marché qu'un sac de riz n'ont d'autre moyen d'être initiés à l'humanité qu'en devenant fous.»

Très bel entretien avec Breyten Breyttenbach par Ballast : c'est ici.

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