dimanche 30 avril 2017

Cinq méditations sur la beauté ★★★☆☆ de François Cheng


Éditions Albin Michel, octobre 2008
162 pages
Prix Spiritualités d'aujourd'hui

Quatrième de couverture


En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourrait paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais à cause de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Nous sommes donc convaincus qu'au contraire nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les deux extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal, et de l'autre, la beauté ... Ce qui est en jeu, nous n'en doutons pas, n'est rien moins que l'avenir de la destinée humaine, une destinée qui implique les données fondamentales de la liberté humaine. » Confronté très jeune à ces deux « mystères » par la fréquentation de l'époustouflant site du mont Lu dans sa province natale d'une part, et par le terrible massacre de Nankin perpétré par l'armée japonaise de l'autre, François Cheng livre ses réflexions sur les questions existentielles les plus radicales. Ce faisant, il nous fait revisiter les moments phares de la culture d'Orient et d'Occident.

Mon avis ★★★☆☆


Un essai philosophique, très dense, sur la beauté, découpé en cinq méditations, et dont la lecture n'est pas toujours aisée, du moins ne l'a pas toujours été pour moi. De très beaux passages, et d'autres plus ardus, relus plusieurs fois et dont la compréhension m'a parfois échappé.
J'ai beaucoup aimé les passages évoquant la beauté artistique dans la peinture, "tout tableau chinois, relevant d'une peinture non naturaliste mais spiritualiste, est à contempler comme un paysage de l'âme", dans la poésie, ou encore la beauté du monde, de la nature qui justifie finalement notre existence sur terre.
«De tout temps en Chine, poètes et peintres sont avec la nature dans cette relation de connivence et de révélation mutuelle. La beauté du monde est un appel, au sens le plus concret du mot, et l'homme, cet être de langage, y répond de toute son âme. Tout se passe comme si l'univers, se pensant, attendait l'homme pour être dit.»
«Je ne tarde pas à découvrir la chose magique qu'est l'art. Les yeux écarquillés je commence à regarder plus attentivement la peinture chinoise qui recrée si merveilleusement les scènes brumeuses de la montagne. Et découverte parmi les découvertes ; un autre type de peinture. [...] Nouveau choc devant le corps nu des femmes si charnellement et si idéalement montré : Vénus grecques , modèles de Botticelli, du Titien, et surtout, plus proches de nous, de Chassériau, d'Ingres. La Source d'Ingres, emblématique, pénètre l'imaginaire de l'enfant, lui tire des larmes, lui remue le sang.»
L'auteur évoque et détaille parfois scrupuleusement certains tableaux ou paysages, et permet à l'esprit de s'évader, suscite le questionnement, la méditation ... un cheminement vers la spiritualité.
«La terre est une vallée où poussent les âmes.» Keats
«En tant que présence, chaque être est virtuellement habité par la capacité à la beauté, et surtout par le « désir de beauté »
«La beauté nous paraît presque toujours tragique, hantés que nous sommes par la conscience que toute beauté est éphémère.»
Un essai de qualité, que je lirai de nouveau, très certainement, pour en saisir toute la grandeur.


Ce mont Lu, qui appartient à une chaîne de montagnes, 
s'élève à près de quinze cent mètres, 
dominant d'un côté le fleuve Yangzi et de l'autre le lac Boyang. 
Par sa situation exceptionnelle, 
il est considéré comme un des plus endroits de la Chine. 
Aussi, depuis une quinzaine de siècles, est-il investi par des ermites, des religieux, 
des poètes et des peintres. [...] 
Une beauté que la tradition qualifie de mystérieuse, 
au point qu'en chinois 
l'expression "beauté du mont Lu" signifie " un mystère insondable".
Je voudrais simplement dire qu'à travers le mont Lu, 
la Nature, de toute sa formidable présence, 
se manifeste à l'enfant de six ou sept ans que je suis, 
comme un recel inépuisable, et surtout, comme une passion irrépressible. 
Elle semble m'appeler à participer à son aventure, et cet appel me bouleverse, me foudroie. 
Tout jeune que je suis, je n'ignore pas que cette Nature recèle aussi 
beaucoup de violences et de cruautés. 
 Comment ne pas entendre cependant le message qui résonne en moi : 
la beauté existe !
«[...] «beauté d'apparence», qui repose sur la seule combinaison de traits extérieurs, ou composée entièrement d'artifices, une beauté qu'on peut instrumentaliser afin d'amadouer, de tromper ou de dominer. Cette «beauté» qui relève de l'avoir, il est vrai qu'elle est omniprésente dans les sociétés vouées à la consommation. En soi, son existence se justifie; son usage pernicieux la dénature.
Nous sommes là pour vivre, en tendant vers une vie toujours plus élevée, plus ouverte. L'homme n'est pas cet être en dehors de tout, qui bâtit son château de sable sur une plage déserte. Il est issu de l'aventure de la vie; sa capacité à tendre vers l'esprit, sa faculté de penser, d'élaborer des idées font partie de l'aventure de la vie.

La bonté qui nourrit la beauté ne saurait être identifiée à quelques bons sentiments plus ou moins naïfs. Elle est l'exigence même, exigence de justice, de dignité, de générosité, de responsabilité, d'élévation vers la passion spirituelle. La vie humaine étant semée d'épreuves, rongée par le mal, la générosité exige des engagements de plus en plus profonds; du coup, elle approfondit aussi sa propre nature et engendre des vertus variées telles que sympathie, empathie, solidarité, compassion, commisération, miséricorde. Toutes ces vertus impliquent un don de soi, et le don de soi a le don de nous rappeler, encore une fois, que l'avènement de l'univers et de la vie est un immense don. Ce don qui tient sa promesse et qui ne trahit pas est en soi une éthique.
La beauté comme rédemption, est-ce là le véritable sens de la phrase de Dostoïevski : «la beauté sauvera le monde» ? À cette phrase répondent celles d'un contemporain, Romain Gary : «Je ne crois pas qu'il y ait une éthique digne de l'homme qui soit autre chose qu'une esthétique assumée de la vie, cela jusqu'au sacrifice de la vie même», «Il fait racheter le monde par la beauté : beauté du geste, de l'innocence, du sacrifice, de l'idéal».»
Route devant la Montagne Sainte-Victoire
Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg

La Source d'Ingres, 
aujourd'hui exposé au musée d'Orsay

La Pietà d'Avignon

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