dimanche 9 avril 2017

Lune Noire ★★★★★ de John Steinbeck

Éditions J.C Lattès, août 1994
175 pages
Traduit de l'anglais par Jean Pavans
Parution originale The Moon is Down, 1942

Quatrième de couverture


Les échos de la guerre ne parvenaient qu'à peine dans ce village perdu au fin fond de la Scandinavie. Jusqu'au jour où les premiers soldats nazis apparurent au sommet de la côte...
Quel comportement adopter ? C'est finalement une forme de résistance qui va prévaloir, malgré ceux qui, à l'instar du commerçant Corell, préfèrent jouer le jeu de l'occupant. Une résistance sourde, silencieuse, obstinée, animée par le maire, Orden, et son vieil ami le médecin Winter, qui va d'abord contraindre l'ennemi à la terreur, puis l'acheminer peu à peu vers l'angoisse, le désespoir...
C'est en 1942 que l'auteur de À l'est d'Eden - plus tard prix Nobel de littérature - publia ce roman, édité clandestinement en France. Un huis clos où le village, cerné par la neige, apparaît peu à peu comme un microcosme de l'Europe confrontée à la barbarie totalitaire.

Mon avis ★★★★★

«Ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre.»
Un récit concis, un style très épuré, une sobriété inattendue pour moi (je me souviens des belles et longues descriptions dans "Les Raisins de la colère" ou "Des souris et des hommes") mais qui brillamment retranscrit l'atmosphère de tension qui règne dans ce village de Scandinavie, envahi par les Nazis en 1942. C'est l'humain qui est au coeur de cet ouvrage, l'analyse psychologique des personnages est approfondie, et Steinbeck nous livre ainsi des faits, sans prendre partie, sans jugement aucun, nous plonge dans la conscience des êtres face à la guerre, qu'ils soient du côté totalitaire allemand, ou du côté des conquis.

Un roman exceptionnel sur la guerre, la force d'un peuple avide de liberté, non soumis, uni et puissant face à l'ennemi.
- Je ne sais pas. C'est la ville qui décidera de ce qu'il faut faire.
- Mais vous êtes l'autorité.
- Vous n'allez pas le croire, mais c'est pourtant vrai : l'autorité, c'est la ville. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais c'est ainsi. Cela signifie que nous ne pouvons pas agir aussi rapidement que vous, mais lorsqu'une direction est tracée, nous agissons tous ensemble.
Ce livre a été publié clandestinement en 1942; il servait d'appui à la résistance sous l'occupation nazie en Europe.
À ne pas manquer !
«Le capitaine Loft était autant capitaine qu'on peut l'imaginer. Tout en lui respirait et transpirait le capitaine. Il n'y avait aucun moment où il ne fût militaire. Une ambition tenace le faisait monter en grade. Il montait comme la crème monte du lait. Il claquait les talons aussi parfaitement qu'un danseur. Il connaissait toutes les formes de l'étiquette militaire et tenait à les appliquer toutes. [...] Le capitaine Loft était convaincu qu'un soldat est l'élément le plus évolué de la vie animale. Si jamais il songeait à Dieu, il Le considérait comme un vieux général à la retraite, honorable et grisonnant, vivant au milieu de souvenirs de batailles et allant plusieurs fois par an déposer des couronnes mortuaires sur les tombes des lieutenants. Le capitaine Loft croyait que toutes les femmes tombaient amoureuses d'un uniforme et il ne voyait pas comment il pourrait en être autrement. Dans le cours normal des événements, il serait général de brigade à quarante-cinq ans et se verrait en photographie dans les journaux illustrés, flanqué de grands femmes pâles et masculines portant des chapeaux à voilette.
Lanser avait été en Belgique et en France vingt ans auparavant et il essayait de ne pas penser à ce qu'il savait - que la guerre est haine et perfidie, embrouillamini de généraux incompétents, torture, tuerie, écœurement, épuisement, jusqu'à ce qu'elle s'achève enfin sans avoir rien changé, à part de nouvelles lassitudes et de nouvelles haines. Lanser se disait qu'il était un soldat, chargé seulement de transmettre des ordres; on n'attendait pas de lui qu'il se mît à penser et à poser des questions; et il s'efforçait de mettre de côté les souvenirs écœurants de l'autre guerre et la certitude que ce serait la même chose.
- Nous nous sommes embarqués dans un sacré travail, n'est-ce pas ?

- Oui, répondit le maire, le travail le plus vain du monde, la seule chose qui ne peut pas être faite.
- C'est-à-dire ?
- Écraser en permanence l'esprit des hommes.
La haine froide s'accentuait avec l'hiver, la haine patiente, la haine morose. La distribution de nourriture était contrôlée - accordée aux obéissants et refusée aux désobéissants - de sorte que la population devint froidement obéissante. Il y avait un domaine où on ne pouvait pas refuser la nourriture, car un homme affamé ne peut pas extraire du charbon, ne peut pas le transporter. Et la haine était profonde dans les regards des gens, sous la surface.
Tels étaient les hommes de l'état-major, jouant à la guerre comme les enfants jouent à saute-mouton. Le commandant Hunter considérait la guerre comme un problème d'arithmétique à résoudre avant de retourner au coin de son feu ; le capitaine Loft comme la carrière convenable d'un jeune homme convenablement éduqué ; et les lieutenants Prackle et Tonder comme une chose onirique où rien n'était vraiment réel. Et leur guerre avait été jusqu'alors un jeu - avec de belles armes et une belle tactique contre un ennemi sans tactique et sans armes. Ils n'avaient perdu aucun combat et n'avaient subi que peu de pertes. Dans le feu de l'action, ils étaient capables de courage ou de lâcheté, comme tout un chacun. Seul parmi eux le colonel Lanser savait ce que cela signifiait vraiment à long terme.
- Vous voyez, colonel, on ne peut rien y changer. Vous serez écrasés et expulsés. Les gens n'aiment pas être conquis, colonel, et donc ils ne le seront pas. Les hommes libres ne déclenchent pas la guerre, mais lorsqu'elle est déclenchée, ils peuvent se battre jusqu'à la victoire. Les hommes en troupeau, soumis à un Führer, en sont incapables, et donc ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre.»


En aparté (source Wikipedia) 
Le titre est inspiré d'un dialogue de Macbeth. Au début du deuxième acte Banquo et Fleance rencontrent Macbeth qui est sur le point d'assassiner Duncan. Banquo demande à son fils: "How goes the night, boy?" (Où en sommes-nous de la nuit, mon garçon?), celui-ci répond: "The moon is down; I have not heard the clock." (La lune est couchée ; je n’ai point entendu sonner l’heure.). La citation suggère que les ténèbres ne vont pas tarder à s'abattre sur le royaume. Par analogie, Steinbeck voulait montrer que les Nazis ont fait descendre sur l'Europe des ténèbres similaires.

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