mardi 1 août 2017

Crimes de Ferdinand Von Schirach


Onze faits divers réels, onze crimes perpétrés en Allemagne, des crimes plus ou moins intenses, certains d'une rare violence, et dont les motivations des criminels sont ici analysées par l'auteur. Il s'en fait le narrateur, en tant qu'avocat pénaliste ayant véritablement plaidé ces affaires devant la justice berlinoise.
Une écriture efficace, précise, concise, teintée d'humour parfois, qui donne parfois le tournis tant elle est vive.
L'humain est au coeur de chacun de ces histoires, l'analyse experte de l'auteur scrute les méandres de la nature humaine, décortique les comportements humains, les raisons (amour, jalousie, passion, souffrance...) qui les ont amenés à commettre l'irréparable et dresse un véritable profil psychologique des criminels. Derrière un criminel se cache un être humain, un être humain comme vous et moi, et à travers les affaires que l'auteur nous a rassemblées dans ce recueil, on réalise que n'importe qui peut devenir un assassin, et qu'il n'est pas toujours si évident de rendre, pour un juge, son jugement parce que la réalité telle qu'elle apparaît est parfois trompeuse.

«La réalité dont nous pouvons parler 
n'est jamais la réalité en soi.»  Werner K. Heisenberg

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«Sur le fond il n'y a rien à défendre. C'était un problème de philosophie du droit : quel est le sens d'une peine ? Pourquoi punir ? Au cours de mon plaidoyer, j'essayai d'en chercher la cause. Il y a pléthore de théories. La peine doit nous effrayer, la peine doit nous protéger, la peine doit empêcher le coupable de récidiver, la peine doit compenser l'injustice soumise. Nos lois prennent toutes ces théories en compte mais aucune d'entre elles ne s'applique ici. Fähner ne tuera plus. L'injustice du crime allait de soi mais était difficile à évaluer. Et qui voudrait se venger ? Ce fut un long plaidoyer. Je racontai son histoire. Je voulais que l'on comprit que Fähner était à bout.
Car c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé. Gatsby le Magnifique, Scott Fitzgerald. 
Clients et défenseurs ont un rapport étrange. Un avocat ne souhaite pas toujours savoir ce qui s'est réellement passé. On en trouve les raisons dans notre code de procédure pénale : lorsque le défenseur sait que son client a tué à Berlin, il ne lui est pas permis de demander à entendre des témoins à décharge qui confirmeraient qu'il se trouvait à Munich le jour dit. C'est un équilibre précaire. Dans d'autres cas, l'avocat doit absolument connaître la vérité. Connaître les vraies circonstances pourra peut-être constituer le minuscule garde-fou qui préserve son client d'une condamnation. Que l'avocat croie à l'innocence de son client ne joue aucun rôle. Son devoir est de défendre son client. Ni plus ni moins.
La police, en effectuant son travail, part du principe qu'il n'y a pas de hasard. Les enquêtes comprennent 95 pour cent de travail de bureau, évaluation de la matérialité des faits, rédaction de notes, auditions de témoins. Dans les romans policiers, le coupable avoue lorsqu'on lui hurle dessus; en réalité, ce n'est pas aussi simple. Et lorsqu'un homme, tenant dans la main un couteau ensanglanté, est penché au-dessus d'un cadavre, il est alors considéré comme l'assassin. Aucun policier raisonnable ne croirait qu'il est passé là par hasard ni qu'il a retiré le couteau du corps pour venir en aide. La célèbre sentence du commissaire de police judiciaire disant que "la solution est trop simple" est une invention d'auteurs de scénario. Le contraire est vrai. L'évidence est ce qui est vraisemblable. Et c'est presque toujours ce qui est vrai.Les avocats, en revanche, cherchent une faiblesse dans l'édifice des preuves monté par l'accusation. Le hasard est leur allié, leur devoir est d'empêcher toute conclusion hâtive reposant sur une apparente vérité. Un fonctionnaire de police a dit un jour à un juge de la Cour fédérale de justice que les défenseurs n'étaient que les freins du char de la justice. Le juge répondit qu'un char sans frein n'est bon à rien. Un procès pénal ne fonctionne qu'à l'intérieur de ce jeu de forces.
Suivez l'odeur de l'argent et les traces de sperme. De la sorte, on élucide chaque meurtre.
La fonction de juge d'instruction est peut-être la plus intéressante en matière de justice pénale. On peut passer rapidement sur chaque affaire, on ne doit pas supporter de débats ennuyeux, ni écouter qui que ce soit. Mais ce n'est qu'une des deux faces. L'autre, c'est la solitude. Le juge d'instruction est seul à décider. Tout dépend de lui, il emprisonne les gens ou les libère. Il y a des métiers plus simples.»
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Quatrième de couverture

Crimes est un recueil de nouvelles relatant onze affaires criminelles stupéfiantes. Pour son auteur, Ferdinand von Schirach, avocat de la défense à Berlin depuis une quinzaine d’années, le monstrueux fait partie du quotidien. Mais si les faits rapportés sont bien réels, l’écrivain brouille les pistes et nous introduit dans un monde fictionnel aussi fascinant qu’inquiétant. La violence des crimes est sublimée par le laconisme d’un style presque chirurgical dont le mystérieux pouvoir d’attraction hypnotise le lecteur. 
Mais au-delà de la force spectaculaire d’une prose glaçante, ces récits criminels témoignent d’une compréhension aiguë des motifs psychologiques des criminels. Tel ce mari qui assassine sa femme de manière effroyable, mais dont on découvre l’intolérable torture morale qu’elle lui avait infligée durant d’interminables années. Ou le meurtre de ce frère par sa propre sœur, qui se révèle un étonnant acte d’amour. Von Schirach, pour un coup d’essai, livre un coup de maître : subitement entré en littérature avec ce premier recueil de nouvelles, il transcende le témoignage de sa fonction par la maîtrise souveraine du récit et une réflexion sur la valeur du fait vrai : certains, même après qu’on les a prouvés, restent à peine croyables.

Editions Gallimard, Collection du monde entier, février 2011
215 pages
Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet
Prix Kleist en 2010

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