dimanche 31 décembre 2017

Derniers feux sur Sunset ★★★★☆ de Stewart O'Nan

«Il n'y a pas de deuxième acte dans les vies américaines.» 
«Rien n'était impossible : tout ne faisait que commencer.»
F.Scott Fitzgerald

En route pour Hollywood ! Stewart O'Nan nous propose une immersion bien agréable dans le Hollywood des années 30, sur les traces de F.Scott Fitzgerald. 

L'auteur nous raconte les dernières pathétiques années de sa vie, ses rendez-vous manqués avec la grande industrie du cinéma en tant que scénariste, ses dettes, ses amours, son alcoolisme, sa maladie, sa déchéance, ses tourments et ses contradictions, ses relations avec sa femme Zelda, qui a perdu de sa superbe, internée dans un hôpital de Caroline du Nord, celles compliquées avec sa fille Scottie, bref un Francis Scott Fitzgerald qui touche le fond. O'Nan aborde avec subtilité la nostalgie du passé, la fin des illusions et l'imminence du grand départ.

Au-delà de cette biographie fictive de Fitzgerald, l'auteur nous livre un passionnant récit sur le Hollywood des années folles et nous plonge avec talent dans l'ambiance d'une Los Angeles florissante et exubérante, le Hollywood de l'Âge d'or  : les palmiers, les clubs, les soirées arrosées autour d'une piscine, le soleil cru et écrasant. J'ai été séduite par l'exotisme de L.A de l'époque, m'y promenant avec émerveillement et délice.  

Mais l'auteur nous plonge aussi dans l'envers du décor, les dessous d'Hollywood, dévoilant un système déconnecté de la réalité et nous donne à voir également une Amérique vivant une période de troubles alors que la guerre s'apprête à éclater. On assiste notamment à la naissance de la ligue anti-nazie en réponse à la montée de l'antisémitisme, rassemblant quasiment le Tout-Hollywood, de Chaplin à Garbo, de Groucho Marx à Billy Wilder, de Ginger Rogers aux frères Warner... 
«Je me demande comment il peut être trop tôt pour se déclarer antifasciste...»
Un récit riche, vibrant et poignantun bel hommage à ce grand, fragile et attachant écrivain. 
Je n'ai lu de lui que The Great Gatsby et Benjamin Button. Ma liste d'envies lectures pour 2018 s'agrandit, évidemment ;-), hâte de me plonger dans Le Dernier Nabab, Alabama Song ou encore Tendre est la nuit.
« Je suis sûr que tu sais désormais que la vie ne nous offre qu'un nombre restreint de chances, et on regrette amèrement celles qu'on a laissé passer, que ce soit par paresse, par faiblesse ou par orgueil. Tout ce que je te demande, c'est de t'accrocher, quelles que soient les difficultés, pour que, quant tu auras mon âge, tu puisses regarder en arrière et te dire que tu as fait tout ce que tu pouvais. Ainsi se termine le leçon. »
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«Au petit déjeuner, il vit Palm Springs ondoyer sous ses yeux, tel un mirage. Après les étendues mornes et salées du désert, la Sierra représenta un répit bienvenu, la lente escalade des versants abrupts, puis la traversée à grande vitesse des vallées aux ranchs poussiéreux, des orangeraies, des banlieues verdoyantes, avec leurs motels pour travailleurs agricoles et leurs rangées innombrables de bungalows en stuc. Quand ils pénétrèrent dans la ville, un train de marchandises qui filait vers l'est dans un fracas métallique fit trembler la voiture, et bientôt ils traversèrent les rues bondées de Los Angeles, le sifflet de la locomotive lançant son avertissement à chaque carrefour. Il fouillait l'horizon des immeubles pour apercevoir le célèbre mausolée de la mairie quand soudain, comme s'ils étaient tombés en panne de courant, ils ralentirent et s'engagèrent sur les voies de garage, s'avançant à grand bruit entre les wagons et les locomotives auxiliaires immobilisés, en direction du grand dôme sombre de la gare; puis, après s'être glissé entre les feux de signalisation orangés et les piliers encrassés de suie, dans un dernier couinement assourdissant, le train s'arrêta en vacillant pesamment.
À l'angle de la 5ème Avenue, un troupeau de danseuses de hula hoop géantes et vêtues de soutiens-gorge en fausse fibre de coco papotaient et faisaient des bulles avec leur chewing-gum, le temps qu'un accessoiriste traverse en poussant un sarcophage doré sur roulettes, puis elles poursuivaient leur chemin, dans le froufrou de leurs pagnes végétaux qui se déplumaient peu à peu. Existait-il au monde quelque chose de plus triste que ces starlettes et leur camaraderie fraternelle, leurs rêves de gloire partagés aussi crûment dévoilés ? Lui était un vieux de la vieille, il savait davantage dissimuler ses ambitions et ses peurs. Inquiet, il ne savait pas 'il avait eu raison de revenir, mais ce business de la production cinématographique, aussi creux qu'il puisse paraître, satisfait par avance l'homme qui en lui avait gardé le goût de la comédie musicale. Il y avait là une entreprise dont la tâche était de distraire, ainsi qu'un plateau qui l'attendait : il lui fallait seulement écrire un livret acceptable et quelques chansons faciles à retenir. Il devait absolument se convaincre qu'il en était toujours capable.
«C'est chouette de te revoir»; dit Alan. Sa poignée de main, censée être virile, évoquait davantage une caricature d'hommasse. Il avait le corps svelte et les traits imposants d'un homme important. C'était un de ces curieux «mariages de Boston», pour reprendre l'expression d'Henry James. Chacun d'eux préférait les jeunes hommes, ils se querellaient sans cesse avec l'âpreté de mangoustes, et pourtant ils étaient inséparables.
Los Angeles n'avait jamais été sa ville,et tandis que les cafés encore ouverts et les drive-in défilaient de part et d'autre, il se dit qu'il comprenait pourquoi. Malgré toute la beauté tropicale de cette ville, elle avait quelque chose de dur, elle manquait de charme, elle était d'une vulgarité aussi typiquement américaine que l'industrie cinématographique, laquelle prospérait sur le dos des vagues successives d'exilés prêts à tout pour y travailler, sans jamais rien lui offrir de plus que la chaleur de son soleil. C'était une ville d'étrangers, mais au contraire de New York, le rêve que vendait L.A., comme tout lieu mythique, n'était pas un rêve de dépassement de soi mais de prospérité infinie, que seuls pouvaient atteindre les très riches et les morts. Mi-plage, mi-désert, ces lieux n'avaient jamais été faits pour y être habités. La chaleur y était impitoyable. Dans les rues, on sentait une lassitude qui paraissait palpable encore la nuit, plus visible à travers les vitrines jaunes des fast-foods et des drugstores s'apprêtant à fermer, laissant leurs clients sans autre endroit où aller. Contre toute attente, il faisait désormais partie de cette horde de déracinés, condamné à errer au long des boulevards, et une fois de plus il s'étonna d'être tombé si bas et de sa capacité à mesurer sa propre chute.
Après qu'elle l'eut laissé tomber pour épouser le fils d'un associé de son père, il continua à rêver de sa maison, des portes-fenêtres donnant sur la terrasse en pierre, des pelouses qui descendaient en pente douce vers le ponton et l'eau étincelante : une idylle perdue qu'il essayait de recréer, sans jamais y réussir de façon durable, même si, sur le papier, il y parvenait presque. Autrefois, il eût été flatté de savoir qu'elle pensait encore à lui, mais c'était il y a bien longtemps. Il songea, même s'il n'en éprouvait pas de réel bonheur, qu'il arrivait à présent à repenser paisiblement au rôle qu'elle avait tenu dans sa tristesse d'adolescent, avec une nostalgie que le temps et la consolation de l'écriture avaient graduellement adoucie, jusqu'à la transformer en une douce mélancolie. Telle était Ginevra qu'il regrettait, la Ginevra qui lui ouvrait tant de portes et lui avait laissé des souvenirs parfaits, et non pas cette Ginevra Mitchell dont le malheureux fils était l'héritier des butins accumulés au siècle précédent.
Les plateaux extérieurs étaient une sorte de terrain de jeux, loin des contraintes du monde réel. Même les coups de feu sporadiques dans le lointain venaient du décor de western. C'était une aventure sans fin que de découvrir de nouveaux lieux, parce qu'il y en avait un à chaque coin de rue. New York, Paris, Rome-tous les endroits où ils étaient transportés étaient mythiques et enchantés. Ils mangeaient des sandwichs poulet-salade dans la gare d'Anna Karénine, au bacon, laitue et tomates sur les docks de Shanghai, ou bien au corned-beef grillé dans la Casbah, puis ils rentraient en se tenant par la main dans les rues dans brouillard de Whitechapel. »
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Quatrième de couverture

Nous sommes en 1937, et tout va mal pour Francis Scott Fitzgerald. Il est ruiné, miné par l’alcool, en panne d’inspiration, et Zelda, l’amour de sa vie, est internée dans un asile. Elle est loin l’époque où leur couple défrayait la chronique. L’Âge du Jazz est terminé, avec ses fêtes, son glamour, ses extravagances. Répondant à une proposition de la Metro Goldwyn Mayer, Fitzgerald joue sa dernière carte et débarque à Hollywood comme scénariste. Ses collègues se nomment Dorothy Parker, Ernest Hemingway, Humphrey Bogart. Dans une soirée, il croise la ravissante Sheilah Graham, une journaliste mondaine dont il tombe follement amoureux. Il se remet à écrire, s’efforce de ne plus boire, rend visite à Zelda avec sa fille Scottie.
Mais comment continuer à vivre quand le monde semble s’effriter autour de soi ? « Toute vie est un processus de démolition », avait-il écrit dans La Fêlure (1936). Quelques années plus tard, cette phrase sonne comme un avertissement du destin.

Avec grâce et subtilité, Stewart O’Nan trace le portrait romanesque du plus attachant – parce que le plus fragile – des écrivains de la « Génération perdue » inventée jadis par Gertrude Stein.

Editions de l'Olivier, août 2016
389 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Amfreville



Stewart O'Nan, né en 1967 à Pittsburgh, vit à Avon (Connecticut). Il publie son premier roman en 1987 et, depuis, a construit une oeuvre forte et variée, qui explore divers aspects de la société et de l'histoire américaines. Son roman Des anges dans la neige a été adapté au cinéma en 2007 par David Gordon Green sous le titre Snow Angels.

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