dimanche 31 décembre 2017

Les oranges ne sont pas les seuls fruits ★★★★☆ de Jeanette Winterson

Jeanette Winterson est une célèbre romancière anglaise que j'ai découvert avec la lecture de son roman Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, dans lequel elle évoque à plusieurs reprise ce roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits. En faisant quelques recherches post-lecture, j'ai découvert que Les oranges ne sont pas les seuls fruits avait été écrit, en 1985, bien avant Pourquoi être heureux...et que ce dernier était la réécriture du premier roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits, qu'il racontait la même histoire, une confession sur son enfance, son adolescence, son émancipation mais dont la narration était plus proche de la réalité, donnant à cette deuxième parution davantage de réalisme et de puissance.

On retrouve en effet dans Les oranges ne sont pas les seuls fruits, la même jeune fille révoltée et pugnace qui nous conte l'histoire de son adoption, de son enfance cloisonnée par une mère grenouille de bénitier et de la découverte de son homosexualité, mais abordée avec un ton plus loufoque, convoquant surréalisme et légendes. On découvre une enfant à l'imagination débordante qui doit faire face à la rigueur imposée par une mère excentrique, fanatique mais à celle aussi d'une communauté tout aussi illuminée, hypocrite, ancrée dans ses croyances religieuses extrêmes, aveuglée par sa foi.

L'auteure aborde avec un humour décalé et une grande justesse, le thème du fanatisme religieux et ses conséquences sur l'éducation. Le parcours de cette jeune fille est admirable, avide de liberté, elle réussira à évoluer dans la vie, non sans mal mais avec force et détermination avec sa propre sensibilité. 

Beau récit initiatique, une belle leçon d'espoir.

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« Comme la plupart des gens, j'ai longtemps vécu avec ma mère et mon père. Mon père aimait regarder les combats de catch, ma mère, elle, aimait catcher; peu importe contre qui ou quoi. Elle était toujours prête à monter sur le ring.
Les gens aiment faire la distinction entre les histoires, qui ne sont pas des faits, et l'Histoire, qui est, elle, un ensemble de faits. Ils le font afin de savoir ce qu'ils doivent croire et ce qu'ils ne doivent pas croire. C'est une chose très curieuse. Comme se fait-il que personne ne veuille croire que la baleine a avalé Jonas, alors que chaque jour Jonas avale la baleine ? Je vois des gens, aujourd'hui, qui gobent les plus énormes des couleuvres, et pourquoi ? Parce que c'est l'Histoire. Il y avait des avantages à savoir ce qu'il fallait croire. Cela a permis de bâtir un empire et de maintenir les gens à leur place, dans le beau royaume du portefeuille.
Très souvent, l'Histoire est un moyen de nier le passé. Nier le passé, c'est refuser de reconnaître son intégrité. L'obliger à coïncider, le contraindre, le faire fonctionner, le vider de son essence jusqu'à ce qu'il prenne la forme que vous vouliez lui donner. Nous sommes tous des historiens, à notre modeste échelle. Et, sur une échelle bien plus terrible, Pol Pot a été plus honnête que nous tous. Il a décidé de se débarrasser complètement du passé. De cesser de faire semblant de traiter le passé avec un respect objectif. Les cités du Cambodge devaient être rasées, les cartes jetées, tout devait disparaître. Pus de documents. Plus rien. Le meilleur des mondes. L'Ancien Monde en fut horrifié. Nous avons mis Pol Pot à l'index, mais les grosses puces elles-mêmes sont harcelées par des petites puces.
Les gens ne se sont jamais gênés pour se débarrasser du passé lorsqu'il devient trop encombrant. La chair brûle, les photos brûlent, et la mémoire, qu'est-ce donc ? Les délires imparfaits de sots qui refusent d'admettre qu'il est nécessaire d'oublier. Et si nous ne pouvons pas nous débarrasser du passé, nous pouvons le modifier. Les morts ne crient pas. Il y a quelque chose d'attrayant dans ce qui est mort. Toutes les qualités admirables de la vie sont conservées, débarrassées de ce désordre fatigant qui va de pair avec les vivants: toutes les foutaises, les plaintes, le besoin d'affection. Ce qui est mort peut être vendu aux enchères, exposé dans des musées, collectionné. Il est beaucoup plus prudent d'être collectionneur de curiosités parce que, si vous êtes curieux, il vous faudra attendre et attendre que quelque chose se passe. Vous devrez attendre et sur la plage jusqu'à ce qu'il fasse froid et vous devrez investir dans une barque à fond de verre, ce qui est beaucoup plus coûteux qu'une canne à pêche et vous met à la merci des éléments. Les curieux ne sont jamais à l'abri d'un danger quelconque. Si vous êtes curieux, vous risquez de ne jamais revenir, comme tous ces hommes qui vivent désormais au fond de la mer avec les sirènes. Ou comme les gens qui ont découvert l'Atlantide. »
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Quatrième de couverture

« Ma mère n’avait pas d’opinions nuancées. Il y avait ses amis et ses ennemis.
Ses ennemis étaient : le Diable (sous toutes ses formes), les Voisins d’à côté, le sexe (sous toutes ses formes), les limaces. Ses amis étaient : Dieu, notre chienne, tante Madge, les romans de Charlotte Brontë, les granulés antilimaces, et moi, au début. »

Les oranges ne sont pas les seuls fruits recrée sur le mode de la fable l’enfance de Jeanette, double fictionnel de l’auteur. À la maison, les livres sont interdits, le bonheur est suspect. Seul Dieu bénéficie d’un traitement de faveur. Ce premier roman nourri par les légendes arthuriennes ou la Bible célèbre la puissance de l’imaginaire. Tout semble vrai dans ce récit personnel mais tout est inventé, réécrit, passé au tamis de la poésie et de l’humour. Publié en 1985 en Angleterre, Les oranges ne sont pas les seuls fruits a connu un immense succès, devenant rapidement un classique de la littérature contemporaine et un symbole du mouvement féministe.

« Les livres de Jeanette Winterson, apatrides et sans visage, brillent des multiples reflets de la grande Albion : la majesté de Shakespeare, l’absolutisme de Lawrence, le calme de Woolf ou la farce de Chaucer. C’est une magicienne. »
Ali Smith, The Scotsman

Éditions de l'Olivier, mai 2012
235 pages
Traduit de l'anglais par Kim Trân
Parution originale Oranges are not the only fruit, 1985


Née à Manchester en 1959, Jeanette Winterson n'a que vingt-six ans lorsqu'elle obtient le prix Whitbread 1985 pour Les oranges ne sont pas les seuls fruits, un premier roman poétique, insolent et très autobiographique. Elle est l'auteur de plus d'une quinzaine d'ouvrages dont Écrits sur le corps (Plon, 1993), Le Sexe des cerises (Plon, 1995), Art et Mensonges (Plon, 1998), Garder la flamme (Melville, 2006), Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? (Éditions de l’Olivier, 2012). Powerbook (l'Olivier, 2002) a été adapté au théâtre par Deborah Warner (théâtre national de Chaillot, en 2003).


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