samedi 31 mars 2018

Le gang de la clef à molette ★★★★★ de Edward Abbey

Eh bien, eh bien, eh bien nom de Dieu que c'était bon - bordel de Dieu ! pour rester dans le ton du cher Abbey. Un régal ce bouquin, et ravie de savoir que ce n'est pas fini, le retour du gang est prévu incessamment sous peu pour moi, ouf !
Un road-story écologiste, un véritable manifeste écologique. Davantage encore que dans ses autre livres, Edward Abbey, dans le Gang de la clef à molette invite clairement à la prise de conscience et à la rébellion ! Il provoque et il fait rire aussi; il nous entraîne dans un plaidoyer écologiste, à la limite du polar burlesque. Et c'est très bon !! Son écriture est exceptionnelle, précise et lyrique; la traduction est d'ailleurs remarquable
« ... s’enveloppaient dans les flammes avec la volupté folle des amants qui s’accouplent. Incendie rédempteur, brasier purificateur devant lequel les pyromanes maniaques du plutonium au coeur ininflammable ne peuvent que s’agenouiller et prier.»
Et quel gang ! Drôle et charismatique. Quatre intrépides insoumis amoureux de la nature se révoltant et partant à l'assaut des machines et autres constructions qui défigurent les légendaires paysages de l'Ouest Américain, violent la terre, engloutissent tout sur leur passages. 
« L'ennemi auquel l'entrepreneur ne penserait pas et ne pensait pas était la bande de quatre idéalistes allongés à plat ventre sur une roche dans le ciel du désert. En bas les monstres de métal mugissaient, traversaient la saignée ouverte dans la crête, rebondissaient sur leurs roues de caoutchouc, déchargeaient leurs déblais puis remontaient la pente en tonnant pour s'en aller chercher du rab. Monstres verts de Bucyrus, brutes jaunes de Caterpillar soufflant comme des dragons, crachant leur fumée noire dans la brume de poussière jaune.»
Un superbe quatuor, aux répliques mémorables et qui devient très vite très attachant, grâce aux riches, réalistes et vibrantes descriptions offertes par Abbey. 

Edward Abbey était un utopique amoureux de la Nature, des grands espaces de l'Ouest américain, et  ce roman est un parfait témoignage de toute la haine, de toutes les rancoeurs accumulées face à l'impact dévastateur de la civilisation sur les territoires sauvages.


Bien que fictif dans sa forme, ce livre se fonde sur des faits strictement authentiques. Tout ce qu'il contient est réel ou s'est vraiment passé. Et tout a commencé il y a exactement un an de cela. 
E.A 
Wolf Hole, Arizona
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«... surveillées par les motards de la police d'Etat, hommes mornes et pondéreux, crissant dans leurs tenues de cuir, raidis par leur casque antiémeute, leur badge, leur lacrymo, leur matraque, leur radio. Fiers, rudes et sensibles défenseurs latéraux des riches et des puissants. Armés et dangereux.
La ville de Tucson, d'où il venait, où il revint, était désormais cernée par une ceinture de silos à missiles balistiques intercontinentaux Titan. Le désert vaste et libre se faisait excorier de toute végétation, de toute vie, par des bulldozers D-9 géants qui lui rappelaient les modèles Rome Plows utilisés pour araser le Vietnam. Ces terres mortes créées par les machines évoluaient en zone où proliféraient buissons roulants et lotissements immobiliers, sinistres furoncles de taudis à venir, construits en planches vertes de dix centimètres sur cinq, cloisons d'aggloméré et toits préfabriqués qui s'envoleraient au premier vrai vent. Et tout sur les terres de créatures libres : le crapaud cornu, le rat du désert, le monstre de Gila, le coyote. Même le ciel, ce dôme de bleu délirant qu'il avait jadis cru hors d'atteinte, était en train de se transformer en une décharge pour les rebuts gazeux des hauts fourneaux, pour toute cette crasse que Kennecott, Anaconda, Phelps-Dodge et American Smelting & Refining Co. pulsaient dans le ciel public. Un vomi d'air vicié sur sa patrie.Hayduke humait l'odeur du très sale coup derrière tout ça. Une cuisante amertume lui réchauffait le coeur, lui échauffait les nerfs. Le feu couvant de la colère lui gardait les boules ardentes et le poil hérissé. 
Là-bas, dans le vaste Sud-Ouest, Hayduke et ses amis mesuraient les temps de route en packs de six. L.A-Phoenix, quatre packs; Tucson-Flagstaff, trois packs; Phoenix-New York, trente-cinq packs. (Le temps est relatif, avait dit Héraclite dans un passé lointain, et la distance dépend de la célérité. Le but ultime de la technologie des transports étant l'anéantissement de l'espace, la compression de tous les êtres en un unique point idéal, il s'ensuit que les packs de six sont d'un secours précieux. La vitesse est la drogue ultime et les fusées carburent à l'alcool. Hayduke avait bâti cette théorie tout seul, sans aucune aide extérieure.)
Il y avait un camp spécial des forces spéciales. Il y avait un écriteau spécial pendu sous le porche du camp spécial, à côté des drapeaux des confédérés. Cet écriteau disait :
SI TU TUES POUR L'ARGENT TU ES UN MERCENAIRE
SI TU TUES POUR LE PLAISIR TU ES UN SADIQUE
SI TU FAIS CES DEUX CHOSES TU ES UN BÉRET VERT.
BIENVENUE A TOI
Au-dessus des montagnes, le ciel était vide de tout nuage, bleu sombre comme un désir sans fin. 
- La fourmilière, dit Doc, est à la fois le signe, le symbole et le symptôme de ce que nous sommes en train de vivre, à errer en trébuchant dans la pénombre comme des vrais empotés. Je veux dire que c'est un modèle en microcosme de ce que nous devons trouver moyen d'arrêter, d'éradiquer. La fourmilière, comme les réseaux fongiques de Fuller, est le stigmate d'une maladie sociale. Les fourmilières abondent dans les espaces surpâturés. Le dôme en plastique suit le fléau de l'industrialisme déchaîné, préfigure la tyrannie technologique et révèle l'authentique qualité de nos vies, qui s'effondre en proportion inverse de la croissance du produit intérieur brut. Fin de la mini-conférence du bon Dr Sarvis.
Quand les villes auront disparu, [...] quand les tournesols repousseront par les failles du béton et du bitume des autoroutes désaffectées, quand le Kremlin et le Pentagone auront été transformés en maison de retraite pour généraux présidents et autres têtes de nœuds du même genre, [...] eh bien nom de Dieu peut-être que des hommes libres et des femmes farouches, des femmes libres et des hommes farouches pourront chevaucher en liberté dans le pays des canyons et des buissons de sauge - bordel de Dieu ! - , pourront pousser les hordes de bétail sauvage dans les culs-de-sac des gorges, et se repaître de viande saignante et de putains d'abats, et danser jusqu'au matin aux accents des violons ! des banjos ! des bottlenecks ! à la lueur d'une lune en renaissance !
... s'enfoncer dans le pays du roc rouge du fleuve Colorado, saint des saints de l'Ouest américain. C'est le genre de terrain qui fait naître l'horreur et l'abomination dans le coeur du cultivateur, de l'éleveur et de l'entrepreneur. Il n'y a pas d'eau; il n'y a pas de sol; il n'y a pas d'herbes; il n'y a pas d'arbres à l'exception de quelques braves peupliers tout au fond des canyons. Rien qu'un squelette rocheux, une peau de sable et de poussière, le silence, l'espace et les montagnes au loin.
Regarde-moi toutes ces bagnoles ... Regarde-moi tous ces types qui roulent sur leurs roues de caoutchouc dans leurs engins entropiques de deux tonnes, à polluer l'air qu'on respire, à violer la terre pour offrir un tour gratis à leurs gros culs d'Américains avachis. Six pour cent de la population mondiale engloutissent 40% du pétrole de la planète. Bande de porcs !
Un succès fulgurant ce barbelé. Aujourd'hui, les antilopes meurent par milliers, les mouflons périssent par centaines chaque hiver du haut de l'Alberta au bas de l'Arizona, parce que les clôtures les empêchent d'échapper au blizzard et à la sécheresse. Et les coyotes aussi meurent et restent pendus aux pointes d'acier tétanosées, et les aigles royaux ... tous victimes de la même engeance partout sur la planète.»
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Quatrième de couverture

Révoltés de voir le somptueux désert de l'Ouest défiguré par les grandes firmes industrielles, quatre insoumis décident d'entrer en lutte contre la “Machine”. Un vétéran du Vietnam accro à la bière et aux armes à feu, un chirurgien incendiaire entre deux âges, sa superbe maîtresse et un mormon nostalgique et polygame commencent à détruire ponts, routes et voies ferrées qui balafrent le désert. Armés de simples clefs à molette – et de quelques bâtons de dynamite –, ils doivent affronter les représentants de l'ordre et de la morale lancés à leur poursuite. Commence alors une longue traque dans le désert.

Dénonciation cinglante du monde industriel, hommage à la nature et hymne à la désobéissance civile, Le Gang de la clef à molette est un livre subversif à la verve tragi-comique sans égale.

Editions Gallmeister, avril 2013
544 pages
Traduit de l'anglais par Jacques Mailhos 
Parution originale The Monkey Wrench Gang, 1975

                       Les livres d'Edward Abbey sur ce blog 

mercredi 28 mars 2018

Kilomètre zéro ★★★★☆ de Maud Ankaoua

«
Vous ne pouvez pas arrêter les vagues, mais vous pouvez apprendre à surfer.
»  
Joseph Goldstein

Envie de vous perdre et de vous reconnecter avec vous-même ? Envie de faire une pause, de laisser votre quotidien (certes trépidant ;-) de côté, celui qui a petit à petit grignoté sur vos rêves et vos envies ? Envie d'évasion, de belles rencontres, de levers de soleil à couper le souffle, de silence ... ? 
N'hésitez pas une seconde et venez partager ce voyage sur le toit du monde avec Maud Ankoua. Laissez vous émouvoir, guider, inspirer par les leçons de vie que l'auteure distille tout au long de ce roman. Prenez votre temps, ou si comme moi, vous avalez ce roman en quelques heures, alors revenez-y...parce que ce roman est un médicament, une pastille Vichy qui fait un bien fou, qui nous ramène à l'essentiel, aux plaisirs simples, qui nous donne les outils pour apprendre à vivre mieux, à trouver notre propre équilibre, à nous recentrer sur le présent, à vivre l'instant en s'affranchissant de nos souvenirs et de toute réflexion, à dompter notre cerveau en quelque sorte, à écouter notre battement intérieur, à interpréter la plus belle symphonie qu'est [notre] vie.

« Tu deviens libre au moment précis où tu deviens conscient. 
C’est dans cet espace que tu pourras prendre les décisions avec un regard neuf sans le poids du passé, sans culpabilité ni projections sur l’avenir. »

Un condensé d'humanité et d'émotions, riche d'enseignements. 
C'est un peu de son histoire, de ses expériences que partage avec nous Maud Ankoua, en nous racontant l'histoire de Maëlle, l'héroïne de son roman. L'écriture est simple, pas toujours fluide, j'ai noté quelques longueurs et c'est, je pense, pour cela que je l'ai lu aussi vite la première fois. Mais peu importe la forme, quand le fond est aussi sincère et profond, quand les messages d'espoir ne nous quittent pas une fois la dernière page tournée, quand l'enseignement est aussi riche, et reste ancré en nous, quand les mots nous transforment et nous amènent à réfléchir sur nous-même et démontrent, que, oui, les clés du bonheur sont en chacun de nous... 

«Notre situation peut être perçue comme le paradis ou l'enfer : 
tout dépend de notre perception.» Pema Chödrön

Merci Maud Ankoua, pour cet enrichissant et émouvant voyage, merci pour ce beau moment de partage dans les locaux de Babelio. 
Merci aux éditions Eyrolles et à Babelio pour cette lecture qui va m'accompagner longtemps, si ce n'est ... tout le temps.
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«Chaque instant que tu perds à être malheureuse ne te sera jamais rendu. Tu sais où commence ta vie, mais pas quand elle s'arrête. Une seconde vécue est un cadeau que nous ne devons pas gâcher. Le bonheur se vit maintenant. Si tu penses qu'être ici est une obligation, tu vas vivre des moments difficiles ces prochaines heures, car la montagne est un miroir géant. Elle est le reflet de ton âme...Le reflet de ton état d'être. Tu as le choix de saisir l'opportunité qui t'est offerte, d'expérimenter ce voyage autrement, en arrêtant de comparer ce que tu es, ce que tu sais, ta culture, ton niveau de vie, ton confort. Si tu acceptes d'observer, sans juger, avec un regard neuf, en oubliant tout ce que tu as déjà vu, alors malgré toutes ces différences, tu découvriras un monde nouveau dans lequel tu pourras prendre un plaisir supérieur à celui que tu connais.Prends le risque de vivre et d'être ce qui t'habite. Emplis ton bocal, caillou par caillou, gravier par gravier, grain de sable par grain de sable en considérant chacune de tes priorités. [...] choisis par primauté la première pierre, puis ajoute la deuxième en te disant que tu ne sacrifieras jamais la première pour la deuxième. Et continue avec le même raisonnement, jusqu'au dernier grain. Mais fais attention à ce que tu veux, car tu risques de l'obtenir !
Si la peur frappe à ta porte et que tu as le courage de l'ouvrir, tu t'apercevras que derrière, il n'y a personne.
Le respect est fonction de la taille de votre compte en banque. Vous vivez dans la peur de perdre le peu amassé puisque l'amour n'est pas dissocié de l'argent. C'est pareil dans vos relations sentimentales, vous ne rêvez qu'à travers les projets matériels : la maison, la voiture, les achats. Vous ne prenez plus le temps pour apprendre de vos aînés, enseigner la confiance à vos enfants, partager avec vos amis plutôt que de vous comparer les uns aux autres ! Votre système de valeurs est fondé sur votre patrimoine. Vous ne savez plus donner sans imaginer d'intérêts en retour. Pire encore : vous confondez ce que vous êtes avec vos conditions de vie. Vous vous associez à votre titre, votre quartier, vos biens, vos origines, votre nom, votre travail, vos relations et n'existez qu'à travers eux. Vous ne concevez plus d'être aimé pour ce que vous êtes : un simple être humain. Dans l'Himalaya, nous sommes dans l'excès inverse. A défaut d'argent, nous vivons dans la misère. Pour survivre, ces peuples se sont accrochés à des valeurs ancestrales et religieuses qui donnent un sens à leur vie. Ils n'ont pas l'occasion de se perdre dans l'opulence, ils sont confrontés à leurs besoins primaires. L'ego ne trouve rien pour s'engraisser, ce qui favorise la compassion, la solidarité, l'optimisme, l'attention, les plaisirs simples, quoi !
[...] seul le chemin compte. Le résultat est souvent insignifiant par rapport au trajet parcouru.
Regarder la vie d’un œil neuf, comme un enfant qui découvre le monde. S’éveiller à ce que désire notre cœur et non pas agir en fonction de croyances automatiques guidées par la peur.
Le bonheur ne réside pas au kilomètre final qui n'existera jamais, mais au kilomètre zéro, qui commence à chaque instant.
L'esprit humain est fascinant : il nous est plus facile de justifier notre mal-être par l'accusation d'un comportement extérieur que d'accepter l'incertitude !
Le pardon ouvre la porte de la guérison.»
Allez encore un dernier passage... j'en ai noté tellement !
Une femme de peau blanche vient de terminer ses courses. Au comptoir du self, elle achète un bol de soupe. va s'installer à une table, y dépose son plateau et s'aperçoit qu'elle a oublié de prendre une cuillère. Elle repart en direction du bar.Revenant à sa place, elle trouve un homme à peau noire au-dessus du bol, trempant sa cuillère dans le bouillon. « Quel sans-gêne ! Mais il n'a pas l'air méchant... Ne le brusquons pas ! »«Vous permettez», lui dit-elle en tirant le bol de son côté. Son interlocuteur ne répond que par un large sourire. Elle commence à manger. L'homme retire un peu le bol vers lui et le positionne au centre de la table. A son tour, il plonge sa cuillère et avale le breuvage. ...La soupe terminée, l'homme lui fait signe de ne pas bouger et revient avec une abondante portion de frites, qu'il pose au milieu de la table. Il l'invite à se servir. Elle accepte et ils les partagent. Puis il se lève pour prendre congé .... Elle reste un moment pensive et songe à s'en aller. Elle cherche son sac à main qu'elle avait accroché au dossier de la chaise. Plus de sac ! «Quelle imbécile je fais ! Cet homme noir n'était qu'un voleur évidemment !»Elle s'apprête à demander qu'on le poursuive, lorsque ses yeux tombent sur un bol de soupe, intacte et froide, posée sur un table voisine, devant la chaise où pend son sac. Il manque une cuillère sur le plateau...
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Quatrième de couverture


Editions Eyrolles,  août 2017
304 pages 
Très beau moment de partage avec Maud Ankoua
et l'équipe de Babelio dans les locaux de Babelio
Pour en savoir plus sur la rencontre, c'est par ici, sur Maud Ankoua, par ici

dimanche 18 mars 2018

Je reviens d'un long voyage ★★★★☆ de Stéphane Cognon

Pierre Desproges avait une réflexion là-dessus : 
"Si tu parles à Dieu tu es croyant, 
s'il te répond tu es schizophrène."

Une critique sur Babelio qui me fait de l'oeil, une idée lecture ajoutée à ma bibliothèque virtuelle, une lecture qui ne se concrétise pas toujours car au détour d'un passage en librairie, ou d'une présentation de la rentrée littéraire, de nouvelles lectures s'ajoutent aux nombreux, très nombreux livres qui me tendent déjà leur bras depuis un moment. Mais ça, c'était sans compter sur Steperco, pour me rappeler que je ne pouvais pas passer à côté de cette lecture, et que rien ne servait de la retarder puisque de toute façon en moins de deux heures, je l'achèverai.

Je te dois un grand MERCI Stéphane, merci pour ce voyage que tu partages avec ton lecteur en toute simplicité, avec humour, pudeur et émotion. Ton voyage, ton récit, ton expérience personnelle, ton aventure douloureuse ... je me suis laissée embarquer, j'ai souri, j'ai ri , j'ai versé des larmes, aussi. Avec justesse, franchise et beaucoup de courage, tu t'empares d'un sujet pas évident, et nous permets, à nous lecteurs, de suivre ton chemin, ton parcours chaotique. J'ai aimé ce détachement, cette légèreté qui donnent tant de force à tes mots, nous révélant tes maux. 

C'est au cinéma que je côtoie la schizophrénie : Gollum, Nina Sayers, Teddy Daniels...autant de personnages qui m'atteignent en plein coeur à chaque fois. 
Il y a deux ans, j'ai rencontré une maman atteinte de bipolarité. Le regard et le jugement des autres, et son dénie aussi je crois, l'ont perdue à jamais. Ton récit prouve que, quand le cerveau déraille, l'issue peut avoir un tout autre goût, avec un traitement, un suivi médical et surtout beaucoup, beaucoup d'amour...l'entourage est précieux.
Quel bel hommage tu rends à tes parents, à ta femme. Ils doivent être fiers de toi. Et bravo à toi. Ton récit, est, je l'imagine, qu'une infime partie de ce par quoi tu as dû passer. Ta retenue rend ton témoignage plus grand encore.

"Un certain romantisme de la folie" (chapitre 17) ou le lien étroit entre le génie et la folie. Lors des deux lectures consécutives de ton histoire, je me suis arrêtée à chaque fois sur ce chapitre, laissant mon esprit divaguer et me remémorer visualiser les œuvres et les personnes que tu y cites. Derrière la génialité peut se cacher un être en souffrance...oui, en effet.
L’histoire de l’art ne manque pas de génies qui ont côtoyé la folie… Mais cela ne doit pas faire oublier que la folie est une souffrance. Le fou n’est pas marginalisé par choix mais de fait, il ne peut plus vivre comme tout le monde, il n’y arrive plus.
Un petit bout de livre, qui ne peut laisser indifférent, un petit bijou, à lire, à relire encore et encore, pour changer notre regard, mettre de côté nos à priori, et nous concentrer sur l'essentiel... l'humain, tout simplement. 

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Combattre les idées reçues. Qu’est-ce que c’est que ce discours sur la schizophrénie? Ce n’est pas ça! Je le sais moi, je peux te raconter! Les fous ne sont pas tous dangereux ! 
... est-ce qu'on est bien armé pour prendre le contre-pied de millénaires de peur et de folie, ou pour modifier une centaine d'années de crainte de la psychiatrie ou encore la simple peur de la différence ancrée dans la nature humaine. Alors on garde tout ça pour soi, on se fond dans le paysage citoyen lambda qui se lève, prend les transports et va au travail, disserte avec ses collègues de travail, fait son job et finit par avoir peur de l'autre et de sa différence, comme on a pu avoir peur de lui en d'autres temps.
Tu sais moi aussi, j'ai eu besoin ... de me perdre...
Mon esprit divague parfois en escaliers, dévalant les marches quatre à quatre ou à l’inverse sautant de palier à palier vers un ciel hors d’atteinte. 
Et puis arrive le moment où il faut le dire, il faut l’avouer...c'est le moment, il faut prendre son courage à deux mains...Bon, tant pis, il faut y aller...«Maintenant, c’est réglé.» «Je suis suivi.»
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Quatrième de couverture

À 48 ans, j’ai éprouvé le besoin d’écrire sur ce qui m’était arrivé à l’âge de 20 ans. Je n’ai rien oublié de cette période, et désormais je peux en parler avec suffisamment de recul et de distance au point de trouver certaines situations drôles, cocasses ou au contraire tristes, mais sans complaisance.

Grâce à mon entourage et au monde médical, j’ai réussi à trouver mon équilibre, à fonder une famille. En partageant mon histoire, mes rencontres, mes réflexions, j’aimerais vous proposer un autre regard sur la maladie psychique. Un témoignage optimiste sur mon voyage initiatique.

Editions Frison Roche,  janvier 2018
76 pages

mercredi 7 mars 2018

Le poids de la neige ★★★★★ de Christian Guay-Poliquin

aujourd'hui          
le temps a métallisé la neige          
et le silence s'est réjoui          

pour mieux se confondre          
des traits blancs se précipitent au sol          

des montagnes s'accrochent          
sur les écorces des arbres et sur          
des bras épineux          

les verts disparaissent          
les bleus deviennent opalescents          
les contours des bruns et des roux          
s'estompent          

par moments          
un oiseau tire un trait noir          
dans cet espace accéléré          

J.N. Poliquin, hiver 1984         

 Dans un décor réduit au silence et à l'immobilité, figé, glacial, vingt-mille lieues sous l'hiver, je me suis étrangement sentie bien. Une douce et belle évasion dans cette nature au manteau blanc, un arrêt dans le temps, un retour aux sources, une déconnexion bienvenue d'avec notre monde fou et pressé, à chaque instant, nous sollicitant. S'enivrer de la lenteur, s'émerveiller de cette lenteur, quand le temps [devient] une espèce de magma visqueux entre l'éveil et le sommeil. 

Qu'elle fut belle, fluide, subtile et hypnotique cette lecture. 

   C'est un quotidien pourtant pesant et oppressant qui me tendait les bras, la nature sublime que je voyais par la fenêtre de cette véranda était par la force des choses également hostile. Plus d’électricité, plus d'essence, un village et ses habitants coupés du monde, la neige pour unique paysage, et un froid saisissant. C'est sous cette véranda que j'ai partagé le quotidien des deux principaux de ce roman, deux hommes aux relations complexes, dénués dans la survie, complexes par ce que ces deux hommes ne connaissent pas, ils vont devoir se construire une relation, se faire confiance, se protéger l'un l'autre, tenter de survivre ensemble, dans une promiscuité contrainte alors que le poids de la neige menace. Au fil des jours, les doutes s'installent, c'est humain, les peurs, les trahisons naissent, et les espoirs de s'en sortir reculent.

   Quand la nature reprend ses droits et dicte sa loi, quand l'attente se fait longue et que la mort rôde, l'instinct de survie peut alors éveiller alors chez l'homme la faiblesse qui peut le pousser à commettre le pire, ou au contraire, parfois, un élan de générosité...  

   Glissez-vous sous une douillette couverture, et à votre tour, plongez-vous dans cette mystérieuse  et envoûtante atmosphère, laissez vous bercer par les mots, la poésie de Christian Guay-Poliquin et écoutez ... le silence.

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«C'est l'hiver. Les journées sont brèves et glaciales. La neige montre les dents. Les grands espaces se recroquevillent.J'ai vu les fougères se faire mâcher par le givre, les hautes herbes casser à la moindre brise, les premiers flocons se poser sur le sol gelé. J'ai vu les traces laissées par les bêtes qui inspectaient les alentours après les premières neiges. Depuis, le ciel n'en finit plus d'ensevelir le décor. L'attente domine le paysage. Et tout a été remis au printemps.C'est un décor sans issue. Les montagnes découpent l'horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux.
Bientôt, je dis bientôt pour ne pas dire maintenant, déjà, je n'aurai plus la force de me battre pour deux. Je ne pourrai plus me dissimuler derrière la lenteur de mes gestes ou quelques espoirs construits de toutes pièces. Mais je ferai semblant. Et je continuerai de croire en ta guérison, aux journées qui rallongent et à la neige qui fond. Je ranimerai encore et encore les étincelles du forgeron, les avancées de la ville et le rire de ma femme. Je te raconterai bien d'autres choses, j'en inventerai s'il le faut. On n'a pas le choix, c'est le seul façon d'affronter ce qui nous attend. [...] Ne t'inquiète pas, je ferai semblant. Il n'y a pas dix mille façons de survivre.
Les histoires se répètent...Nous avons voulu fuir le sort qui nous était réservé et nous voilà englouti par le cours des choses. Avalés par une baleine. Et très loin de la surface, nous espérons qu'elle nous recrache sur le rivage. Nous sommes dans le ventre de l'hiver, dans ses entrailles. Et, dans cette obscurité chaude, nous savons qu'on ne peut jamais fuir ce qui nous échoit.
Je m'appuie sur les coudes et je rampe vers le divan. Mes jambes suivent derrière moi comme un long manteau alourdi par de la vase.
La neige est lourde sur nos petites vies.
La neige est un lit de cristaux tranchants.» 
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Quatrième de couverture

À la suite d’un accident, un homme se retrouve piégé dans un village enseveli sous la neige et coupé du monde par une panne d’électricité. Il est confié à Matthias, un vieillard qui accepte de le soigner en échange de bois, de vivres et, surtout, d’une place dans le convoi qui partira pour la ville au printemps, seule échappatoire.
Dans la véranda d’une maison où se croisent les courants d’air et de rares visiteurs, les deux hommes se retrouvent prisonniers de l’hiver et de leur rude face-à-face.
Cernés par une nature hostile et sublime, soumis aux rumeurs et aux passions qui secouent le village, ils tissent des liens complexes, oscillant entre méfiance, nécessité et entraide.
Alors que les centimètres de neige s’accumulent, tiendront-ils le coup face aux menaces extérieures et aux écueils intimes ?

Aux éditions de l'Observatoire,  janvier 2018
251 pages
Prix du Gouverneur général 2017




Né au Québec, en 1982, Christian Guay-Poliquin est doctorant en études littéraires. Le Poids de la neige, grand succès au Québec, a été distingué par plusieurs prix prestigieux.